Les yeux de SuYen
Acte II d'un conte érotique mettant en scène Hong Kong


fille de Chine


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Bateau en rade de Hong Kong, 1967 Nous faisions route sur Kobe venant de Bangkok. Le grand paquebot de la Compagnie Maritime Française mouillait pour une courte escale, dans le Victoria Harbour, ce bras de mer pittoresque qui divise Kowloon de Victoria.

Temple WongTaiSin, bâtons d'encens Fille aux bâtons d'encens
Ce matin-là, le temple taoïste Wong Tai Sin baignait dans des effluves d'encens qui vous prenaient à la gorge. Les fidèles en grand nombre étaient agenouillés face au temple, brassant de mystérieux bâtonnets dans des cylindres en bambou dont le son se répercutait sur les parois irrégulières du temple. J'emmagasinais les sons, les effluves, les couleurs, comme de multiples signes qui venaient imprégner tout mon être des mystères de l'Orient. Instinctivement, je m'étais intégré au rituel collectif et je manipulais avec maladresse les mystérieux oraculaires, les laissant s'échapper en grand nombre annonçant ainsi de mauvais présages, je les réinstallais dans le bol jusqu'à la maîtrise nécessaire pour qu'un unique bâtonnet s'échappe par les mouvements contrôlés du cylindre, et dont la signification des calligraphies annoncerait d'heureux présages à venir.

Temple WongTaiSin, fillette et oraculaires
L'un des bâtonnets s'échappa laborieusement du bol et vint choir sur le sol découvrant ses indéchiffrables hiéroglyphes. Je ne savais que faire je restais immobile, silencieux guettant du coin de l'oeil l'effet sur les fidèles incrédules de ce succès imprévu.



Temple WongTaiSin, oraculaires
J'approchai la main pour cueillir le bâtonnet; une blanche et frêle main de jeune fille apparut pour cueillir le bâtonnet; la main frêle de la mystérieuse inconnue vint frôler ma main. Un frisson s'empara de mon être, l'Orient venait d'entrouvrir une toute petite porte où je pourrais peut-être pénétrer.

Je n'avais pas noté sa présence près de moi, absorbé que j'étais à découvrir les étranges rituels taoïstes que j'assimilais par mimétisme en observant les nombreux fidèles chinois qui tapissaient le parvis du temple.

Elle était vêtue d'un cheongsam d'une blancheur immaculée. Sous l'effet du mouvement pour ramasser le bâtonnet, ses cheveux longs et noirs s'étaient répandus avec désordre jusqu'à hauteur de ses hanches, une longue et fine jambe se profilait audacieusement hors de la large ouverture latérale de son cheongsam. Elle s'empara doucement du bâtonnet et l'approcha de ses yeux comme pour mieux déchiffrer ses étranges calligraphies.

les yeux de SuYen

Elle se tourna vers moi et me regarda fixement. Ses grands yeux bridés étaient empreints d'une tristesse qui me troubla.

- "My name is SuYen," dit-elle timidement en baissant les yeux et en joignant ses deux mains dans un geste de révérence, elle tenait l'oraculaire fermement entre ses paumes comme un objet précieux qu'elle semblait vouloir protéger.



J'étais sidéré, je la regardais et je n'osais prononcer un seul mot.

Temple WongTaiSin, kiosque des oracles
J'oubliais le bâtonnet, le sens du présage, qu'il m'aurait fallu faire interpréter par les oracles du temple, j'aurais pu interroger SuYen, aurait-elle su interpréter le sens du présage, le garderait-elle jalousement, ma soudaine surprise m'enlevait tous mes moyens, j'étais muet comme foudroyé par l'apparition imprévue de SuYen, ses yeux étranges et l'indéfinissable trouble qui marquait son regard.

- "If you wish, tonight we meet at the Tai Pak?"

Cela était dit comme une prière, il n'y avait pas d'intonation significative laissant percevoir un racolage amoureux, il s'agissait d'autre chose, d'un rendez-vous mystérieux que son attitude dissimulait à peine et dont je ne pouvais soupçonner l'ampleur. J'ai compris que j'aurais alors droit à l'interprétation des présages de l'oraculaire.

Je n'osais répondre, ou je ne le pouvais pas.

Temple WongTaiSin
Elle se leva calmement, et sans autre mot disparut silencieusement à l'extérieur du complexe religieux elle avait laissé tomber un minuscule papier. Je ramassai le papier, c'était une carte d'affaire. Il indiquait le nom du Tai Pak, un restaurant d'Aberdeen.

J'ai à peine quitté les quais de la gare ferroviaire de Kowloon, les yeux de la belle étrangère sont toujours fixés sur moi, elle arbore un sourire espiègle, puis je la regarde disparaître lentement dans la foule.

Nathan Road


Il y a effervescence ce soir-là. Les impériales défilent inlassablement; les enseignes multicolores illuminent le ciel; un bruit infernal emplit le canyon du Nathan Road; le long du Public Pier près du Star Ferry le panorama lumineux au pied du Victoria Peak brille de tous ses feux. Du côté de Victoria, autour et sous l'étrange tour de la Bank of Hong Kong, les travailleuses philippines garnissent tous les espaces libres dans un brouhaha indescriptible marquant leur congé dominical d'un rituel pathétique. Hong Kong a bien changé depuis, mais j'ai toujours les yeux de SuYen en tête, la belle SuYen; et je refais le trajet vers Aberdeen comme il y a trente ans, mon coeur saute d'impatience et pourtant j'ai le spleen à l'âme.

Victoria public pier Victoria harbour
travailleuses philippines Tram lumineux

Aberdeen a changé. Les restaurants multicolores sont toujours là, à quelques distances des quais, noyés dans une explosion de bâtiments insipides qui voilent à jamais les contours sinueux des hautes falaises. J'ai bien reconnu les pontons flottants, celui du Sea Palace puis celui du Tai Pak, les magnifiques jonques d'alors avec leurs grandes voiles rouges ont disparu de la rade; les Tankas, ces mystérieux "boat people" couvrent toujours les plans d'eau dans leurs jonques immobiles, garées à l'écart des lumineux restaurants flottants.

Sampans
Pontons des restaurants flottants Jonque chinoise





Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes et légendes asiatiques, mars 1997) © 1997 Jean-Pierre Lapointe
Photos de l'auteur prises en 1968 et 1996


ACTE III