La femme à plumes ou le sacrifice de la reine sauvage du Nouveau-Monde.

Acte I d'un conte érotique se déroulant dans un Nouveau monde.

tahiti

"Et cependant, j'en veux faire un tableau chaste et
donnant l'esprit canaques, son caractère, sa tradition.
Le paréo étant lié intimement à l'existence d'une Canaque,
je m'en sers comme dessus de lit.
Le drap d'une étoffe écorce d'arbre doit être jaune.
Parce que, de cette couleur, il suscite pour le spectateur quelque chose d'inattendu.
Parce qu'il suggère l'éclairage d'une lampe, ce qui m'évite de faire un effet de lampe.
Il me faut un fond un peu terrible. Le violet est tout indiqué.
Voilà la partie musicale du tableau tout échafaudée."

(Paul Gauguin, Journal des îles.)


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La mer. J'entends la mer tout près de là, je suis étendu sur le dos. Mon corps est brisé, je souffre et je n'arrive pas à bouger, je ne peux ouvrir les yeux. Que s'est-il passé?

- Vahine!

Le soleil me brûle la peau. Je sens le sable sous moi, sa texture, sa densité, son odeur aussi, une odeur de mer, de varech, je suis allongé sur la plage. Je suis à Bora Bora. Mais suis-je vraiment à Bora Bora?

Je me souviens, il y a eu tempête.

La mer hurle de douleur, de plaisir sadique. Elle est jalouse! Elle déchire la voile, elle brise la pirogue à balancier, elle me brise, elle m'enveloppe dans son ventre. Mer jalouse. Mer cruelle, jalouse de mon bonheur.

- Vahine, vahine!

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Nous sommes enlacés l'un dans l'autre. La mer est calme, comme un miroir. Vahine, serais-tu trop tendre et belle pour que l'amour puisse durer toujours?

J'entends la mer au loin. Est-elle là tout près de moi? Es-tu allongée sur le sable, là, tout près, vahine, pour t'aimer à jamais?

- Bora Bora!

Nous nous sommes aimés, sans rien dire, ni faire, se laissant ballotter par la mer. Bora Bora, Bora Bora inaccessible, la mer jalouse nous interdit d'atteindre Bora Bora, la solitude, la sensualité à jamais.

Des pas sur le sable! J'entends des pas sur le sable. Elle est là, mais pourtant, ce sont des pas sur le sable, trop lourds, des pas trop lourds, elle n'est plus seule.

- Fiu roa!

Des pas sur le sable, trop nombreux, trop lourds pour que ce soit tes pas, ô vahine!

Va'a motu, esquiftrop frêle pour supporter le bonheur. Esquif trop frêle pour contenir mon bonheur. Va'a motu jusqu'à Bora Bora, inaccessible Bora Bora. Tu as voulu, pour nous, les plages désertes de Bora Bora, pour supporter notre amour, un instant ou une éternité! Bora Bora l'inaccessible, au-delà de la tempête subite voulue par les dieux, les démons; va'a motu en détresse, le vent, le gouffre, la mer amère, va'a motu naufragée.

- Maeva!

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Sauvage et belle, tu m'as embrassé sur les deux joues. À ton cou, un leipura de loke-lani. Et tu m'as ceint d'un lei de ohia lehua. Puis tu as prononcé ces mots:

- Maeva popa'a!

Sauvage et belle, rieuse, espiègle, tu m'as pris par le main, tu m'as entraîné, sur la plage, au loin, je t'ai entendu, tu as dit:

- aloha oe!

Comment pouvais-je faire autrement que te croire? Ange venue du paradis, moi, de l'enfer. Je t'ai aimé dès ce moment. Souviens-toi, souviens-toi, nous nous sommes aimés, souviens-toi. Je t'ai prise dans mes bras, je t'ai soulevé comme une poupée. Je t'ai aimé comme on aimerait un ange.

- Tamure.

Comme les déesses dans mes rêves, tu as dansé pour moi. Pa'oti, tamure, tu dansais, tu te lovais, tu coulais comme un serpent, tes hanches, ton bassin ensorcelant; ensorcelé, ensorcelé, je t'ai aimé, j'étais ensorcelé. Tu m'as ensorcellé, diabolique vahine, je t'ai aimée, je veux t'aimer encore et encore.

- Vahine, i te vai urirau ua rau t oto o te manu

Puaiti vahine, petite fleur. J'enlève ton pareu. Je dépouille ton frêle corps d'enfant. Je caresse tes petits seins, je redessine le tatau gravé sur ta chair, ton ventre cuivré et luisant comme le sable à Moorea, je le suce, comme une pulpe de cocotier sur la plage à Haapiti. Puaiti vahine. Je t'aime, tu es docile, je t'embrasse, tu ris, je te caresse, tu te love, je t'aime, tu te laisse aimer, je t'aime, je t'aime jusqu'au fond de ton ventre, vierge, vierge vahine, jusqu'à l'orgasme, et tu aimes, tu aimes, tu aimes et je t'aime.

Parahi Moorea, adieu pour toujours, mon amour.

MooreaMoorea


J'ouvre les yeux, lentement, je sens comme une odeur humaine tout près. Puaiti vahine, les hommes de ton clan peut-être? Tu es là, tu es là! Je voudrais encore t'aimer, vahine, mon amour, es-tu là?

Tout est sombre. Ton sourire, tes dents blanches prêtes à croquer, Puaiti vahine, es-tu là? Tu cours sur le sable, pieds nus, fragile, espiègle, une fleur sur l'oreille droite, tes petis seins d'enfant, tes cheveux sombres qui virevoltent, qui frôlent tes seins en passant et qui glissent sur tes hanches, tes fesses et ton ventre, ton ventre lisse, un mont de Vénus, une fleur imperceptible derrière ton pareu, fragile armure, voilant ton bassin, jusqu'à la naissance de ta fleur. Petite fleur, petite fleur gisant sur le sable, des lèvres qui s'ouvrent, ton chat entr'ouvert où je voudrais sombrer pour toujours!

Tout est sombre. J'ouvre les yeux. Tout est encore noir. Des bribes de soleil, percent à travers les arbres sans doute. Ou ce sont des corps, comme si c'étaient des arbres. Des corps de la couleur des arbres. Des corps bronzés par la mer, par le soleil ou le temps. Des sauvages! ce sont des sauvages; j'entends leurs cris; leurs voix aux accents stridents, leurs incantations diaboliques; ce sont des sauvages, ou des cannibales. Ce sont des cannibales et ils sont prêts à me dévorer.

- Puaiti vahine, es-tu là?

Des corps sombres, des visages inhumains, bariolés, tatoués, emplumés, hirsutes. Trop sombres et trop vulgaires pour qu'ils soient tes frères, Puaiti, mon amour. Ce ne sont pas tes frères. J'ai du sombrer dans la mer, trop loin, trop loin de ton île, chez les sauvages, entraîné par la tempête, la mer jalouse, et toi? Toi, frêle esquisse, as-tu sombré à jamais dans mes rêves?

J'ouvre les yeux à demi, j'aperçois des visages, des chairs nues, noires et bariolées, des pénis en érection, des ceintures de plumes d'oiseaux, des maquillages grotesques, des mains agitées balançant des lances aiguisées, des bracelets d'ossements, des colifichets; des hommes m'entourent, des guerriers sans doute, qui me voilent la lumière du jour, le paysage environnant, la forêt, la plage, la mer, j'entends pourtant le son des vagues, le sifflement du vent dans les arbres, la forêt est là, tout près, la mer aussi, je sens l'odeur du sable, je suis un naufragé de la mer. Échoué sur une plage déserte, sur une île, un Nouveau monde, et ce sont là des sauvages, des cannibales.

tahititahiti




Tu n'es plus là. Meherio, mon amour, ma sirène, violée par la mer, la mer jalouse.

Je le sens, mon heure est venue, ou suis-je déjà mort, et en enfer? J'ai sombré dans la mer ou échappé à la tempête pour aboutir ici, gisant sur le sable, pour y mourir, dévoré par les cannibales ou ce seraient des diables prêts à me faire subir les supplices de l'enfer, ou simplement des anges du Paradis?

Mon dieu! Absurdité!



Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes érotique, novembre 2002) © 2002 Jean-Pierre Lapointe
(resources recuillies auprès des cultures Polynésiennes, Incas et Mochicas)


ACTE II