La place Staromêstské námêstí était animée ce matin-là. Je cherchais les habituels revendeurs pour m'approvisionner en couronnes tchèques.
Une foule dense, des jeunes pour la plupart entourait le monument de Jan Huss. Il était décoré de multiples affiches aux slogans percutants et colorés, témoin des révoltes répétées du peuple de Bohème contre l'occupant. Les conversations par petits groupes étaient animées mais empreintes de civilité. Nous nous mêlions aux groupes bien que ne saisissant rien des conversations, le sujet nous semblait pourtant évident. Dans ce printemps de Prague, toute la jeunesse venue d'Allemagne, de Hongrie, de Pologne se réunissait ici, débattant des vertus d'un concept que leurs pays respectifs et leur jeune âge les avait empêché d'expérimenter jusqu'ici, la liberté.
Les gens plus âgés trop longtemps trahis, se tenaient à l'écart incertains ou méfiants de ce qui se passait. Puis l'horloge du beffroi du Staromêstská radnice sonna midi. Quelques pigeons s'envolèrent craintivement, puis revinrent se poser sur la tête de Jan Huss une fois l'alerte passée en essayant de jouir à nouveau de leur liberté.
Tout le pays retenait son souffle. La veille, les dirigeants avaient sommé les troupes du Pacte de Varsovie de quitter le territoire de la Tchécoslovaquie. Nous quittions Prague le lendemain et prenions la direction du nord accompagnant ainsi malgré nous, les troupes en retraite.
Les routes à la sortie de Prague étaient encombrées comme jamais auparavant, de véhicules militaires amorçant leur marche vers les pays du bloc de l'Est. Elles avaient jusqu'ici maintenu en permanence des garnisons assurant la protection du pays ou était-ce celle des steppes trop souvent violées de la méfiante Russie. Elles quittaient maintenant la Tchécoslovaquie avec une lenteur qui nous semblait calculée.
Les forêts qui bordaient la route étaient encombrées de véhicules hétéroclites. Nous venions de traverser Hradec Kralové et il était temps de trouver un endroit propice pour garer notre auto campeur pour la nuit avant de pénétrer en Pologne. En d'autres temps, cette opération eut été simple; les forêts, les plages étant du domaine public dans les pays du bloc de l'Est, il était généralement facile de s'y trouver un endroit propice pour bivouaquer en toute paix. Mais le moment était exceptionnel, les sites appropriés étaient déjà occupés par les militaires. Avant que la nuit nous surprenne, nous avions finalement investi un site aux abords de Nachod, site déjà occupé par des troupes disséminées ici et là, mais tout de même accessible.
Après avoir mangé et avant la tombée de la nuit, je sortais pour une marche dans la forêt. Je profitais de l'étrange silence de la forêt, cheminant sur des sentiers déserts. Après quelques minutes de cette randonnée apaisante j'entendis comme un bruit qui semblait provenir d'une chute d'eau, je souhaitais me baigner dans la rivière qui devait se trouver là, et réparer ainsi les fatigues d'une dure journée à circuler dans Prague sous une chaleur torride.
Après quelques minutes de marche où le bruit de l'eau s'intensifiait, je débouchai sur une éclaircie donnant directement sur une rivière qui coulait entre les pierres. J'aperçus la mousse blanche de la chute tombant dans une fosse d'eau presque calme entourée d'une verdure exubérante et de grosses pierres lisses qui s'alignaient du lit de la rivière jusqu'à sa rive en une cascade désordonnée de pavés humides.
Je fus soudainement immobilisé par une voix stridente qui provenait de la direction des pierres, mes yeux cherchèrent un instant puis se fixèrent sur une forme en mouvement de couleur chair et qui se déplaçait en direction d'objets épars sur les autres pierres qui gisaient en bordure de la rive. Je reconnus un corps nu de femme en mouvement.
Je n'ai eu que le temps de visualiser cette forme d'une blancheur subtile, qui se découpait en lignes arrondies et légèrement athlétiques. Je l'ai vue s'emparer de ce qui semblait être une arme, et de l'autre main, d'une sorte de redingote qu'elle enfila avec difficulté autour de son corps passant son arme d'une main à l'autre avec toute la fébrilité d'un animal sauvage en pâmoison.
Je voyais lentement disparaître derrière la couleur gris-vert de la longue redingote, des bribes de ce corps que je continuais à fixer comme figé par la soudaineté de l'apparition; une crinière blonde, recouvrant une partie du visage et qui se prolongeait derrière son dos jusqu'aux omoplates, des seins d'une rondeur respectable mais d'une provocante fermeté, des hanches proéminentes encadrant une petite touffe d'un duvet légèrement argenté qui scintillait au soleil. Puis j'entendis ses cris atterrés, qui couvraient le bruit assourdissant que produisait la chute. Ce n'étaient pas des cris de détresse. Je percevais plutôt des ordres, des commandements, des interpellations dans une langue que j'ai vite interprétée comme étant du russe.
Ces cris s'accompagnaient de gestes brusques du canon de son arme et je n'osais bouger de peur de les mal interpréter, je restais figé comme une statue de sel, l'oeil indiscret fixé aux parties encore visibles de son corps comme une provocation, mais ce n'en était pas une. J'ai compris qu'elle était militaire, à sa redingote et à son arme qui me semblait être une arme de combat. Elle amorça une marche lente mais assurée dans ma direction.
Le canon de son arme pointait constamment dans ma direction. Sa longue vareuse descendait jusqu'à ses chevilles qu'elle laissait largement ouverte sur le devant, occupée qu'elle était à maintenir son arme dans ma direction, elle avait besoin pour cela, de ses deux mains, de sorte que je pouvais percevoir les mouvements accentués des parties visibles de son corps pendant qu'elle amorçait sa périlleuse descente des pierres lisses et humides; elle entreprit la marche qui la rapprocherait de ma position à l'orée de la forêt.
Ses longues jambes, une à une, à chacun de ses pas laborieux, se laissaient voir jusqu'à la naissance de son pectoral, par un mouvement rythmique accentué par les anfractuosités du terrain que ses pieds nus arpentaient avec une certaine prudence. Les mouvements s'articulaient autour du rotule que formait la ligne de partage de ses jambes faisant frissonner le duvet qui cachait à peine son sexe; l'on pouvait apercevoir un soupçon des lèvres qui en décorait l'entrée. Je n'osais détourner mes yeux de peur de commettre une erreur mais en même temps, j'avais la sensation de la violer, scrutant ainsi les louvoiements des parties de son corps encore visibles par l'entrebâillement de sa vareuse. Je m'aperçus vite à mesure qu'elle se rapprochait de moi, qu'elle ne semblait plus s'en soucier, comme si le mal était déjà fait.
Mais à quoi bon s'en soucier, si j'allais disparaître, derrière cette forêt épaisse du nord de la Tchécoslovaquie, assassiné par une militaire venu des steppes de Russie, membre d'une armée puissante, en mal d'occupation territoriale, derrière le rideau impénétrable des différences socio-politiques, représentant du mal venu de l'ouest, moi jeune homme d'Amérique, comment pourrait-elle se soucier de cet étranger comme d'un autre de ces citoyens anonymes qu'elle prétendait protéger des incursions impies de mon univers.
Mais savait-elle seulement d'où je venais?
Elle s'approchait lentement vers moi, son arme toujours braquée en direction de mon ventre, elle parlait maintenant d'une voix plus posée les bruits de l'eau recouvrant que plus difficilement ses paroles qu'elle entrecoupait maintenant de longs silences, comme si elle attendait une réponse. Je percevais ces moments comme des moments de grâce, et je répondais à l'aide de petites phrases en français, d'une voix douce, sans malice comme pour éviter toute réaction à une intonation qu'elle aurait pu percevoir comme une protestation ou une défiance.
Je pouvais maintenant distinguer plus nettement les formes de son corps qui violaient les limites territoriales de la vareuse militaire qui devait la protéger de mes regards lubriques. Les quelques pipes qui garnissaient ses épaulettes laissaient deviner qu'elle était officier d'un grade supérieur dans l'armée. Je pouvais facilement percevoir ces détails ayant été moi-même jadis, lieutenant de l'armée canadienne.
Elle était maintenant à portée de bras, son arme pointait toujours en direction de mon ventre. Je fixais ses yeux d'un bleu presque transparent qu'elle fixait également sur moi. Je pouvais distinguer son visage, qui s'était décontracté à mesure qu'elle s'approchait. Elle était belle. D'une beauté déconcertante. Ronde, mais belle, comme une image décrochée de la cimaise d'un musée d'art ancien. Une scène hétéroclite presque absurde dans cet attirail militaire incomplet. Mais avais-je le temps d'épiloguer sur cette image, l'incongruité de la situation, ma position précaire. Je n'osais bouger, je ne savais plus où diriger mon regard mais une étrange force le laissait se fixer de façon impertinente aux parties visibles de son corps.
Elle appuya le canon de son arme sur mon ventre et l'y fouilla avec une certaine pression. J'avais peur. Pourtant, les traits de son visage ne laissaient pas percevoir qu'elle appuierait sur la gâchette, du moins pas maintenant. J'avais un sentiment partagé de peur et d'inconfort. Le canon de son arme scruta mon corps. Elle parlait maintenant calmement, elle murmurait presque, comme si ses paroles incompréhensibles, suivaient le mouvement du canon de son arme qui scrutait les formes de mon corps. Ses yeux suivaient avec attention les mouvements de l'arme sur mon corps.
Je sentais le froid du canon à travers les tissus légers de mes vêtements, le canon de l'arme frôla mes flancs et descendit lentement au niveau de mes hanches. Il roula rapidement le long de ma jambe gauche puis traversa de l'autre côté à la hauteur du genoux avant de remonter avec fébrilité pour venir s'appuyer sous les fragiles glandes qui pendaient sous mon appareil génital. Je tressaillis. Je fus pris d'un mélange de peur et de surprise, à la vue de cette femme maintenant presque souriante, qui me regardait fixement et dont les yeux laissaient maintenant percevoir une évidente concupiscence.
Mais de qu'elle concupiscence il s'agissait, je n'en savais rien, était-ce le désir charnel, l'assouvissement d'une vengeance sur un ennemi mythique venu d'Occident, le sacrifice après le viol; je pensais à ma compagne laissée seule dans le campeur, déjà inquiète sûrement et entourée d'une troupe insatiable et avide de femmes.
Le canon de son arme releva une jambe de mon short juste sous mes testicules et s'y appuya avec impudence. J'entendis une phrase plus ponctuée, comme un commandement accompagné d'un léger durcissement des lèvres. Je ne compris pas tout de suite, puis le canon de son arme se mit à fouiller nerveusement la fermeture éclair qui protégeait l'accès à mes organes sexuels. Elle fit le geste de l'ouvrir, ce que je fis avec une certaine timidité
Puis de sa main gauche, tenant toujours son arme de l'autre main, elle entreprit de m'aider, et de gestes rapides, sans gêne, mais avec toute la prudence nécessaire pour éviter une quelconque défense de ma part, elle entreprit de libérer mon organe génital de ces encombrants tissus protecteurs. Le canon de l'arme froide revenait frôler mon sexe. Elle fit entendre un petit rire amusé, sans malice, puis elle laissa délibérément sa vareuse s'ouvrir largement sur son corps comme une invitation à partager avec elle un moment de plaisir sexuel, du moins je le crus.
Elle s'empara brusquement de ma main qu'elle déposa avec vigueur sur son vagin. Avec une certaine impatience, elle dirigea la paume de ma main sur cette caverne entrouverte et déjà humide puis y enfonça deux de mes doigts qu'elle activa avec vigueur en un mouvement rotatoire qui la fit geindre de plaisir. Je sentais au bout de mes doigts le ressort articulé de son clitoris proéminent.
Un certain dialogue entre nous semblait maintenant engagé pour de bon, je craignais toujours son arme dont elle maintenait le canon sur l'une de mes côtes, pendant que de l'autre main, elle activait ardemment mon sexe dans un va-et-vient rythmé. Elle ouvrit sa bouche d'où sortaient maintenant d'étranges sons qui n'étaient plus du russe, sa langue en sortit et tout en gémissant comme une bête, elle l'enfonça lourdement dans ma bouche. Tout son corps vint se plaquer contre le mien me projetant lourdement sur l'arbre qui me servait d'appui depuis le début de cette aventure. Je sentis distinctement les papilles proéminentes de ses seins s'enfoncer dans ma chair par l'ouverture de ma chemise, et le canon de la kalashnikov dans mes côtes qui se relâchait légèrement.
Cela dura un certain temps avant que mes sens s'activent et malgré le caractère inopiné de la situation, je commençais à sentir le désir charnel m'envahir. Je restais discret malgré l'apparition graduelle chez moi d'une évidente concupiscence, elle gardait toute l'initiative. Elle fit pénétrer mon pénis gonflé de sang dans son utérus largement hospitalier et s'activa dans une danse convulsive qui acheva d'ébranler ce qui me restait de résistance. J'ai senti alors que j'avais définitivement succombé à ses charmes.
Ce fut fait dans un concert de sons gutturaux qui sortirent de ma gorge toujours encombrée de sa langue titilleuse, en même temps que mon sperme envahissait son ventre, elle glissa dans l'orgasme avec des convulsions corporelles qui faillirent nous faire vaciller de notre position précaire.
Puis ce fut le calme. On entendait un léger vent dans les arbres accompagnant le son maintenant imperceptible de la chute. Nous sommes restés appuyés l'un sur l'autre pendant de longues minutes, la nuit commençait à tomber, nous ne disions mot. Elle s'écarta lentement, replaça sa redingote sur ses épaules, et en referma pudiquement les rebords sur son corps, elle mit son arme en bandoulière puis se retourna en me jetant un dernier regard discret empreint d'une certaine satisfaction.
Je restais là, immobile, toujours appuyé à l'arbre, la regardant se diriger vers les pierres où ses vêtements gisaient pêle-mêle. Je n'osais bouger. J'avais repris mes esprits, je pouvais mieux analyser la situation, je sentais en moi un mélange de gêne et de satisfaction. Je la vis s'habiller sans pudeur, comme si je n'étais pas là. Elle ne me regardais plus, comme si je n'avais jamais été là. Je la vis enfiler une à une toutes les pièces du puzzle qui constituait l'univers secret de la femme, ces sous-vêtements de couleur gris-vert, ces épais tissus, qui me rappelaient qu'elle était militaire, mais dont le contraste avec la blancheur de sa peau apportait une touche d'érotisme. Et je sentis mes sens se tourmenter à nouveau, cette fois sans contrainte.
Elle s'approcha de moi, maintenant vêtue, d'une élégance toute militaire, la kalashnikov en bandoulière. Elle avait l'allure d'un véritable officier de l'armée russe. Ses cheveux à peine perceptibles étaient enroulés sous son képi aux larges rebords caractéristiques à l'armée russe. Elle s'arrêta devant moi, à un mètre à peine, me dépassant de quelques centimètres; elle arborait un sourire décontracté sur son visage de femme déjà mure. Je ne craignais plus rien. Elle me fixa longtemps du regard, impassible, sans un mot, puis porta son index droit à ses lèvres qu'elle mouilla légèrement puis le déposa doucement sur mes lèvres entrouvertes et le laissa là un moment appuyé en exerçant une certaine pression. Puis elle me dit avec une voix déterminée:
- "Spaciba petite français".
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes et légendes, septembre 1996, photos de l'auteur août 1968) © 1996 Jean-Pierre Lapointe
Trame sonore empruntée aux archives du Web: Révolution de Jean-Michel Jarre