Roméo et Juliette, les amants de Paris.
Acte II d'un conte, qui n'est plus une légende, d'un amour au temps de la copulation industrielle.
La question qui se pose pour les humains n'est pas
de savoir combien d'entre
eux survivront dans le système
mais quel sera le genre d'existence de ceux qui
survivront.
(Dune et le messie de Dune, Frank Herbert)
J'ai devant moi, un feuillet publicitaire du "reprogenetic Wall-Mart" de
la "Somatic Germline Engeneering Company".
Je feuillette, sans trop d'attention, le "leaflet" qui vante le "know how" de la "Company": "IVF: in-vitro fertilization", "Human cloning", "technologically enabled human genetic manipulation and selection", "the ICSI method of in-vitro fertilisation", "the human genome engeneering", "improvement of the genes by eugenic manipulation", "PGD: preimplantation genetic diagnosis", "somatic cell nuclear transfer technique", "embryon fusion"; puis cet autre "leaflet" à l'effigie de la République, écrit dans un jargon burocratico-juridico-inintelligible, et qui tente de décrire les subtilités de la "loi Jospin". Ainsi, cette fois-ci
encore, comme toutes les autres fois que j'y viens, je suis là à
attendre, des heures interminables, pour me conformer à la "social
requisition" de mon corps de mâle "adult-healty, intellectually-developped, eugenicly-normal and somaticly-reproductible".
Oh! que j'aimerais, belle étrangère, t'ensemencer, et que tu ais plaisir
à recevoir tout autant que j'aurais de plaisir à te violer de ma
semence; cette semence que je viens, ici, donner sans plaisir, et que tu
viens recevoir par "intracytoplasmic sperm injection", et je m'en
doute un peu, tout autant sans plaisir, sans jouissance et sans goûter
à la béatitude que procure l'orgasme!
Oh, belle étrangère! Viens que je te fertilise "in-vitro", viens déjouer
avec moi cette tragédie comique de l'"industrial love", viens que je
plonge mon membre raidit par le sang et le désir jusqu'au plus
profond de ton ventre, que je viole ainsi ton oeuf et que nous
puissions procréer tout en s'aimant et tout en jouissant; oh, belle
étrangère, dont la seule vue me fait m'assoiffer comme si j'étais le
Christ revenant du désert du Sinaï après un jeûne prolongé!
Es-tu ici, belle étrangère, pour recevoir de ce liquide incandescent qui
gît au fond des bassines cylindriques d'acier inoxydable, qui
s'alignent comme des géniteurs immobiles et dociles derrière la
grande cloison vitrée du grand hall, ou qui circule dans ces multiples conduits multicolores en direction de je ne sais quelle prédestination génétique?
Es-tu ici, belle étrangère, pour porter le fruit de ce coït industriel,
alors que mon membre s'agite en ta présence, qu'il se gonfle
d'appétit, et qu'il est tout disposé à t'ouvrir comme un poignard, à
s'empaler en toi et à t'ensemencer en te faisant jouir jusqu'au plus
profond des orgasmes?
Ou n'es-tu ici que pour porter ce liquide anonyme qui dégage une
telle vapeur blanchâtre, et que manipulent des robots anonymes
vêtus de blanc des orteils jusqu'au cuir chevelu, et qui s'agitent, d'un
bassin à l'autre, en un sinistre ballet?
Es-tu ici, belle étrangère, pour accueillir sans en jouir et à tes seules
fins, des "gem-rich sperms"; es-tu ici pour reproduire des embryons
avortés en vue de la fabrication du matériau nécessaire à la production de pièces de
rechange triogéniques servant à la transplantation de tissus ou
d'organes; es-tu ici pour transporter "in-vitro" - des clones humains,
des chimères, des avortons, des "son-soldiers", des "super-men" - à
l'intention des pontifs de la rectitude sociale?
Dis-le moi, dis-le moi vite, dis-le moi et aimons-nous avant que
l'Apocalypse...
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes et légendes, décembre 2000) © 2000 Jean-Pierre Lapointe
Trame sonore empruntée aux archives du Web: