Que tu es belle! Oh, que tu es belle et qu'il serait bon de t'aimer, belle et inaccessible femelle,
assise discrètement sur la banquette avant du bus de la ligne Passy-Porte des Lilas!
Mon désir le plus grand serait de franchir la ligne rouge qui nous sépare,
toi et ces autres passagères indolentes assises sur les banquettes avant du bus 96 qui vous mènent, et te mène, toi belle étrangère, Dieu sait où.
Et je te regarde, et j'oublie qu'il m'est interdit par les conventions de l'apartheid,
de franchir la ligne rouge qui me sépare de toi, et qui nous sépare, nous, mâles, du contact avec ces
autres femelles, et moi, de toi, assise, silencieuse et vulnérable sur
cette banquette avant du bus 96.
Je voudrais te baiser, mais je sais que cela m'est interdit et cela t'est
interdit également; mais je ne sais si je pourrai me retenir jusqu'à la
fin de mon trajet et du tien, car ta beauté insolite ne fait qu'agiter mes
sens de mâle qui a jeuné si longtemps, trop longtemps sans doute,
d'avoir rêvé de toi et de bien d'autres femelles, en silence, souvent,
trop souvent, qu'il ne sait s'il retiendra très longtemps le rut qui
l'assaille en ce moment. Pourrai-je résister plus longtemps à la
tentation de franchir la ligne rouge qui te protège de moi, et qui
m'interdit de me jeter sur toi, de te déshabiller de force et de te violer,
là, sur la banquette avant du bus 96 qui circule cahotiquement en
direction du terminal de la Porte-des-Lilas.
Oh, belle femelle, qui te crois à l'abri des prédateurs mâles, derrière
cette fragile ligne rouge! Oh combien vulnérable tu serais si tu
pouvais comprendre toute la soif animale qui meuble mon esprit! Il
suffirait que tu me regardes pour que mon rut se transforme en une
éjaculation précoce; de grâce, n'attends plus et approche-toi. Je n'ai
qu'à fermer les yeux, et toutes les conventions sociales
s'évanouissent, ainsi que la présence de la matrone de service, cette
"fhommelle" travestie en "policewomen", assise sur la banquette
opposée à celle du "bus driver", elle qui nous surveille d'un oeil
inquisiteur derrière sa cloison de verre anti-balle. Je te regarde et je te vois qui franchis la ligne rouge des
conventions sociales; tu t'agenouilles dignement devant moi, tu
descends ma braguette, tu ouvres mon pantalon et tu dégages
calmement mon pénis de sa prison de coton; tu te penches et tu
t'engouffres en moi comme aucune autre femelle ne pourrait le faire
et n'a su le faire avant toi; la bouche grande ouverte, tu me pompes
en me fixant de tes yeux coquins pour me faire jouir d'un orgasme
qu'aucun de mes rêves n'a pu me procurer, tout au long de ce long
purgatoire, qui me fut imposé à moi et à mes congénères mâles, par
les ministres des églises de la rectitude sociale.
Mais j'ai peur, j'ai peur que ces pensées qui m'assaillent soient la
raison de ma perte; oui j'ai peur, j'ai peur que, là où il n'y a plus lieu
de punir les actes, les pensées et les rêves soient assujettis à
l'inquisition des "managers" de la pensée morale.
Dieu aidez-moi, aidez-moi mon Dieu, détournez mes pensées du
corps charnel de cette trop belle jeune fille; pourquoi, si vous
m'interdisez de l'aimer, ne détruisez-vous pas la beauté qui alimente
ainsi ma soif?
Le bus longe les quais décrépis du quai d'Orsey, il franchit la Seine au pont Alexandre, les
odeurs nauséabondes de cet égout à ciel ouvert s'infiltrent jusque
dans la carcasse du bus. En d'autres temps, j'aurais emprunté le
"metropolitan", avant que celui-ci soit infesté par les "loiterers", les
"renegades", les "quidams", les "homeless", des rats. Sur le parvis du Trocadero, la populace hurlait sa ferveur devant le bucher qui consumait des machos impénitents. Puis, la superstructure corrodée de l'"Eiffel tower"
disparaissait au moment d'atteindre les champs
Elysées parsemés, ici et là, de carcasses calcinées de "cars" de tourisme. Nous roulons avec peine, contournant les débris de l'obélisque de Louqsor qui jonchent la place de la Condorde. Puis tout le long de la rue de Rivoli, nous subissons les assaults des "hooligans" embusqués sous les arcades.
Un arrêt subit du bus me tire de ma somnolence. Le bus s'immobilise.
C'est ici que je dois descendre. Je n'ai même plus le temps de poser
un dernier regard sur la jeune femelle qui a si agréablement meublé
mes rêves d'homme amoureux. Je descends du bus sur le boulevard Sebastopol pour me diriger
vers l'étrange building en forme de "refinery" où je viens
régulièrement déposer le seul ingrédient encore utile de ma pauvre
carcasse de macho avilisé.
Elle est là devant moi. Elle est descendue en même temps que moi,
elle est à quelques mètres seulement de sorte qu'il suffirait de si peu
pour que mes rêves lubriques se transforment en une réelle aventure.
Elle est là tout près, si près que je pourrais la toucher, qu'il suffirait
de peu pour caresser son gros cul, ses fesses qui se moulent
parfaitement sous sa robe de coton fleuri; sa robe si courte qu'elle se
soulève légèrement à chacun de ses pas, dégageant outrageusement
ses cuisses jusqu'à la naissance de ses fesses, les dessinant clairement
de part et d'autre de la fissure secrète qui les divise en deux bassins si
appétissants à croquer, tels que ses mamelons le sont à téter.
Qu'elle est belle, aussi bien de derrière qu'elle est belle de devant, et
qu'il serait bon de la baiser ainsi, de derrière comme elle est si
appétissante à baiser par-devant!
Mon Dieu, mon Dieu, protégez-moi de mes instincts de mâle en
appétit!
Elle s'est aperçu de ma présence derrière elle. Elle a détourné
légèrement la tête, semblant me reconnaître. Elle n'a pas accéléré le
pas. Nous sommes en vue du "Research Institute" installé dans
l'ancien musée Beaubourg où elle semble se diriger tout comme moi.
Elle franchit les portes vitrées du siège de la SOGEC. Je m'approche
de la façade truffée d'une tuyauterie de laboratoire gigantesque, qui
fait, le bâtiment de la "Somatic Germline Engineering Company",
ressembler à une gigantesque biomasse intestinale. Je franchis les
portes transparentes en même temps qu'elle, sans que nous
échangions une seule parole. Nous sommes maintenant dans le hall,
vaste et désert, qui réverbère le son de nos pas en mille plaintes
dodécaphoniques; je me dirige, comme je le fais toujours, vers le long
"reception desk" pour prendre un ticket numéroté d'une distributrice
accrochée au mur jouxtant le "desk"; elle en a fait tout autant, et nous
nous installons sur les banquettes inconfortables du vaste "waiting
room", rejoignant ainsi ces nombreux autres visiteurs anonymes,
passifs et indolents.
Je regarde dans la direction des banquettes réservées aux "females".
Elle est là, isolée des autres femelles; elle a déposé sur ses flancs, un
"américan magazine" décrépi qu'elle a pris sur les "shelves" qui longent les murs.
Elle fait semblant de lire. Et je ne cesse de la regarder et de
m'interroger sur la raison de sa présence en cet endroit, là même où je
viens déposer ce bien précieux que j'aimerais tant partager avec elle.
Viens-t'elle ici, comme moi, pour donner, où est-ce pour recueillir ce
que j'aimerais tant lui donner, d'une manière toute autre?