Le ventre sacré de la Reine-vierge Hatshepsout
Acte II d'un conte érotique en trois actes ayant pour scène l'Egypte antique
"Sa Majesté croissait mieux que tout au monde;
La voir était plus beau que tout au monde;
Elle était tel un dieu;
Sa forme était celle d'un dieu;
Elle faisait tout comme un dieu;
Sa splendeur était celle d'un dieu;
Sa Majesté était une vierge belle, fleurie..."
parole d'un scribe d'Égypte
J'avance maintenant d'un pas mieux assuré, me servant de la torche pour explorer
les dédales de la caverne à la recherche d'une sortie, quelque part au bout d'un
passage, au fond d'une chambre, trébuchant sur les obstacles rampant ou
grimpant pour revenir bredouille, descendant un long escalier qui me délivrera
de la montagne ou m'y incrustera plus profondément et déplaçant les pierres qui
obstruent un passage, j'aboutis dans une large chambre.
Le sol de la pièce est recouvert de gravats, de fragments de poteries, et
d'éléments végétaux; les objets semblent avoir été déplacés par les pillards,
les coffrets sont défoncés, les paniers ouverts, les vases vidés de leurs huiles
précieuses, tout est là, pêle-mêle, offrant à la vue un spectacle unique.
Contre l'une des parois, des coffrets et des sièges abandonnés: des tabourets,
une chaise au dossier ajouré et orné du génie de l'éternité, un trône étincelant
d'or et d'argent, de pâtes de verre, enluminé d'évocations poétiques de la
Reine, une coupe d'albâtre en forme de lotus épanoui et flanquée de génies
accroupis, sur le bord duquel je déchiffre cette phrase: Que ton Ka vive!
J'ai le souffle coupé, je m'appuie à la paroi, haletant et inquiet, et j'essaie
de reprendre mon souffle, perdant appui soudainement, je chancelle, le mur
bascule avec un bruit sourd, un appel d'air fétide fait vaciller la flamme de la
torche, je me retrouve sur le dos dans un espace dégagé, un caveau dont la
lumière de la torche peut à peine m'indiquer l'amplitude. Je promène la lumière
sur les parois, le plafond, le sol, faisant surgir d'étranges formes, comme des
fantômes illuminés qui scintillent et s'éteignent aussitôt, surpris par ma
présence insolite, puis ils se rallument à nouveau, en d'autres endroits, tout
près ou plus loin, sur les parois, les objets, semblant jouer avec moi, comme
des feux follets, s'épatant de ma venue soudaine, ou s'égaillant de ma subite
intrusion.
La pièce est grande et occupée en son centre par un tombeau funéraire. Alors que
je me relève péniblement, les mouvements de ma torche me laissent entrevoir
l'ornementation des murs latéraux: de grands personnages peints de couleurs
vives où domine le jaune, le rouge, le blanc et le noir, sur un fond soutenu de
jaune ocre, et un ciel aussi bleu que celui d'Egypte. Je crois apercevoir des
images de cynocéphales, des génies accompagnant le cortège funéraire, un
traîneau halé par des personnages de la cour, des vizirs et ce qui semble être
l'image de La Reine qui embrasse le dieu Osiris comme pour se fondre à Lui,
accompagnée de son double, son Ka, elle semble se préparer à entrer dans le
domaine des divinités funéraires.
Je me déplace autour de la vaste salle ne sachant plus où diriger la lumière,
passant des peintures murales aux objets qui encombrent la pièce. Je vois des
coffres divers contenant des bijoux et des vêtements d'un aspect quasi intact;
en face, l'entassement des éléments de quatre chariots démontés, des roseaux,
des cannes, des armes, des paniers détériorés cotoyant des poteries et des vases
d'albâtre.
Beaucoup de ces objets sont faits d'albâte, d'ébène, d'or, de lapis-lazuli, de
turquoise, d'ivoire: des chasse-mouches ornés de plumes d'autruche, des coffrets
à toilette en roseaux, des bijoux épars, abandonnés sur le sol ou encore dans
les coffrets, des vases de calcite, des porte-torche en bois et bronze à l'image
d'un signe de vie.
Il y a des sceptres, des cannes, et même des trompettes, et un exemplaire de
l'unité de mesure, la coudée. A côté des sièges et des trônes, de petits
escabeaux ornés de figurations des ennemis de l'Egypte, des tabourets-pliants
dont les pieds sont tournés en forme de têtes de canards sauvages; je vois
d'autres boîtes contenant des rouleaux de lin, des coffrets où des bagues
voisinent avec d'autres bijoux et d'autres vêtements ayant appartenu à La Reine,
tels ces gants grâce auxquels elle avait du tenir les brides de son cheval.
Dans un long coffre, il y a une trompette de bronze avec l'image de Ptah, d'Amon
et de Harakhty; des cannes décorées de granulés et un stick à l'effigie de La
Reine apparaissant sur son cheval et brillante comme Rê. Tout près, des cannes
ornées du corps d'un Asiatique ou d'un Nègre.
Des objets disparates sont entassés les uns sur les autres: un délicat coffret
d'ivoire recelant une passoire à vin en aragonite, et un pectoral, décorant un
corselet de pharaon à l'effigie de La Reine dont le visage est noir comme celui
du dieu Osiris renaissant; puis des vases d'albâtre dominés par un couvercle à
l'image de la tête de La Reine coiffée de la nemset, avec le vautour et le cobra
sacrés sur leur front. Ailleurs sont disposés des sistres rudimentaires, en bois
doré; un autre coffret au couvercle voûté et rempli de linges, d'écharpes, de
chevets en bois et d'une robe ayant appartenue à La Reine, un magnifique
chaouabti de bois et la statue funéraire de La Reine.
À l'extrémité de la pièce, j'aperçois une ouverture dans le mur, c'est comme une
chapelle qui contient ce qui semble être le plus précieux des objets ayant
vraisemblablement servi au culte funéraire, un coffre monumental, une sorte de
pavillon sacré qui doit contenir les organes vitaux de La Reine. Plus loin,
j'aperçois les brancards d'un grand coffre en bois doré, en forme de pylône, au-dessus duquel est posée une majestueuse statue peinte en noir du jeune chien
Anubis dont les yeux sont incrustés d'or, les oreilles ourlées du même métal.
Puis un objet imposant, comme un tabernacle en bois, entièrement doré, posé sur
un traîneau, protégé d'un dais lui-même surmonté d'une frise de serpents le tout
recouvert de textes hiéroglyphiques, de représentations religieuses et gardé de
l'extérieur par les quatre déesses Isis, Nephthys, Neith et Selkit.
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes et légendes érotiques, novembre 2002) © 2002 Jean-Pierre Lapointe
(hommage à la reine Hatshepsout d'après Hajime)