Le ventre sacré de la Reine-vierge Hatshepsout
Acte I d'un conte érotique en trois actes ayant pour scène l'Egypte antique
"...Amon, maître des trônes du Double Pays,
est satisfait de ton éminente valeur de noble dame,
ô femme au grand charme et grandement louée,
maîtresse du plaisir, à la grande douceur
et grandement aimée, qui le réjouit...
celle qui s'unit à Horus, sa bien-aimée,
dont on dit que toutes choses sont faites pour elle..."
(Paroles dites par Thot, seigneur des mots divins
à la noble dame, fille de Geb et héritière d'Osiris,
qui préside au Double Pays, la mère royale Ahmose :)
- Abibi, abibi. Tu as du prononcer ces mots tant de fois toute cette nuit
durant, alors que je baisais ton beau corps cuivré de belle égyptienne. Je t'ai
caressé, je t'ai baisé tant de fois durant toute cette nuit que je n'ai pas
cessé d'entendre ces mots dans ma tête:
- Abibi, abibi
Le muezzin appelle à la prière, c'est le matin. Je n'ai cesse d'entendre tes
frères crier cet autre chant d'amour:
- Allah akbar; mais si Dieu existe et qu'il est grand, c'est que toi, tu
existes, que tu es si belle et que tu es dans mon lit.
Le soleil n'est pas encore levé que déjà les buits de la rue me réveillent. Je
suis à Louxor. Elle est dans mon lit, petite égyptienne cueillie parmi les
pylônes gigantesques du temple d'Amen-Ra à Karnak, nous nous sommes accouplés,
toute la nuit, enlassés l'un dans l'autre, mais l'angoisse est revenue au matin,
la solitude aussi, il n'y a pas eu de miracle, c'était simplement l'amour de nos
deux corps nus. Demain, j'aurai traversé le Nil sur un felouque et je serai
revenu dans le temps.
Je ne peux m'empêcher de penser à Howard Carter et à sa découverte de la tombe
de Tout-Ankh-Amon, en m'avançant aussi profondément dans Biban el Moulouk, la vallée des rois,
toute aussi mystérieuse à mes yeux qu'elle devait l'être du
temps de Carter.
Pendant que des centaines de touristes, plus loin et dans la sécurité, se
pressent à l'entrée de la tombe de Tout-Ankh-Amon comme pour un pèlerinage, j'ai
l'impression d'être seul et vulnérable, devant la barrière de la falaise qui
surplombe, de façon sinistre, le majestueux temple de la reine Hatshepsout.
Ma passion pour la reine Hatshepsout ne date pas d'aujourd'hui. J'ai toujours eu
un faible pour cette femme mystérieuse, Reine dans un royaume d'hommes, femme
dans un univers de soubrettes, guerrière malgré qu'elle soit femme, vierge parce
que Reine. Je suis là, et j'ai l'impression qu'elle y est également.
J'arpente les pavés défraîchis de la terrasse supérieure du temple Deir-el-Bahari; je regarde les scènes sculptées dans la pierre, le dieu Amon, la
réincarnation de la déesse Hator, des bateaux quittant les quais de Thèbes et
qui emportent, vers le pays de Punt, le corps mutilé de ma Reine; mes pensées
s'entrechoquent.
Je m'attaque avec audace à la falaise du gebel, cherchant le passage le plus
aisé vers ce qui pourrait être l'entrée de la tombe de la Reine Hatchepsout. Je
suis comme un amoureux qui cherche à reconquérir son amoureuse trop souvent
violée, sans doute, par d'autres, cette porte qui mène à tant de trésors,
cette vulve sacrée dégageant tant de tentations pour ces violeurs, ces voleurs
millénaires qui habitent en bas de la falaise, parmi les tombes des pharaons.
Je m'épuise depuis des heures sur ces crevasses profondes, ces fausses cavernes
qui couvrent le gebel, ces roches instables qui risquent de me précipiter au bas
de la falaise; mais c'est le murmure de la montagne qui m'appelle, une plainte,
comme celle d'une jeune fille que l'on viole et je me hâte vers cette caverne
sombre qui m'apparaît au bout d'une crevasse étroite, je voie des bras qui
s'agitent comme ceux de violeurs maîtrisant leur victime sans défense.
Les ombres s'agitent nerveusement pendant que j'avance à tâtons et que la
pénombre fait place à la lumière crue du jour, des ombres me frôlent, celles de
violeurs atterrés ou surpris qui s'échappent du gouffre pendant que je m'y
engouffre.
La pénombre m'emprisonne petit à petit alors que d'autres ombres referment
précipitamment, d'une lourde pierre, l'entrée du gouffre, me laissant seul avec
la nuit, la nuit profonde. Je suis prisonnier de la montagne, prisonnier de la
nuit, là même où repose, peut-être, le corps momifié de la Reine de mes rêves.
Mais une lumière m'appelle, une autre lumière apparue du tréfond du gouffre vers
où j'avance péniblement, frôlant les parois rugueuses, trébuchant sur les
pierres, meurtrissant mes chairs tout en m'approchant péniblement de cette
torche laissée là par les pilleurs de tombes dérangés dans leur chasse au
trésor, une lampe qui projette une lumière jaunâtre sur les parois sinistres de
la caverne.
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes et légendes érotiques, novembre 2002) © 2002 Jean-Pierre Lapointe
(hommage à la reine Hatshepsout d'après Hajime)