Le sacrifice de ZahrA la belle aryenne
Acte II d'un conte érotique ayant pour scène l'Iran des Ayatollahs
Téhéran a changé. Le mimétisme occidental y foisonne et accompagne les hideuses imageries de la mullocratie, le regard inquisiteur du Guide suprême a remplacé l'image patriarcale du Schah Riza-Khan Pahlévi. La foule diffère, bien
sur. Elle est aussi animée, joyeuse, bon-enfant. Les femmes traditionnelles
étaient là jadis, nombreuses en séclusion derrière leurs sombres hétaïres
regardant le monde à-travers les grillages de tissus de leurs étranges nikabs, elles ne sont plus
seules. D'autres femmes les accompagnent maintenant, isolées derrière l'obscurantiste
de la charia, elles ont subtilement transformées ces masques pudiques en
de nouveaux appâts qui exaltent l'appétit sexuel au grand dam de la Niroye
Entezame gardienne de la morale islamique. Ces femmes candidement
vengeresses, couvent la beauté comme d'une arme suprême contre la bêtise.
Je déambule sur le boulevard Keshavarz, rebaptisé par les nouveaux maîtres j'ai
peine à reconnaître les lieux, les places immenses, les monuments pompeux,
les immondes rigoles qui le bordaient ont disparues, l'avenue est
congestionnée, indisciplinée, suffocante de gasoil; les gardiens de la révolution
sont installés près de la porte Bagh-e-Meli, juchés sur leur 4 par 4, arborant
sans vergogne leur barbe noire, leur Kalash et leur suffisance. Je trouve enfin
l'échappatoire, le parc des jardins Gelestan, un oasis enfin, discrètement à
l'écart du capharnaüm que sont les rues de Téhéran.
C'est le crépuscule sur Téhéran. La nuit est légèrement fraîche, le ciel est
éclairé par la pleine lune, l'oppression de la rue n'existe plus, je m'intègre
lentement à l'atmosphère du parc, délicieusement paisible. Je déambule parmi
les occupants du parc, des familles en pleine allégresse, des vieilles en
conversation sur les bancs, des mâles attroupés en d'interminables discussions,
des groupes de femmes emprisonnées derrière leurs sombres drapperies, des
hommes jouant à des jeux subtils, des fillettes enjouées, arborant de coquets
tchadors dessinés comme pour souligner leur individualité. Des filles en groupes
restreints, elles s'amusent à narguer l'étranger que je suis, échangeant des
regards interrogateurs, des exclamations complices, des rires espiègles, de
subtiles provocations corporelles, comme pour tenter le diable, ou échapper
malicieusement à l'omniprésente protection des mollahs sur la morale publique.
Risquerais-je l'opprobre publique si je répondais à leurs avances et décidais de
fraterniser comme j'ai du vivre la vindicte des compagnons mâles de la belle
algérienne, en d'autres temps, dans les rues de Constantine, pour avoir soutenu
le regard trop longtemps, subjugué que j'étais par son étrange beauté.
Je continue mon exploration désordonnée des sentiers ombragés de l'immense
parc, déambulant nonchalamment, m'imprégnant de la sérénité des lieux
faiblement perturbée par le grondement imperceptible de la ville toute proche,
les éclats de voix de l'attroupement gracieux de ces filles qui me suivent et me
narguent et amplifient leur harcèlement espiègle, comme pour me faire
trébucher, risquer une courte conversation, leur permettre ce court et inoffensif
contact avec l'étranger, avec le monde extérieur, avec l'ange satanique venu
d'occident.
Ainsi le groupe s'individualise et je découvre petit-à-petit les caractéristiques de
chacune, leurs personnalités et leurs structures corporelles que leur austère
déguisement n'arrive pas à neutraliser totalement.
- "Je m'appelle Veeda, et voici ShAhzAdeh, Shaheen et Farah" Veeda, un peu rondelette, animée comme une marionnette et qui parle français,
ShAhzAdeh et Shaheen qui se tiennent par la main, comme un couple de
prudes amoureuses, et Farah au regard d'intellectuelle discrètement estompé
derrière des verres épais.
Il y a Jamileh, Faezeh, Masoumeh, et les autres, et il y a aussi ZahrA derrière,
impassible, au regard noir et perçant, elle n'a pas parlé, et n'a pas cessé de me
regarder, fascinée et fascinante.
Il y a ZahrA qui a capté mon regard et réveillé
en moi un perceptible fantasme charnel.
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Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes et légendes, juillet 1999) © 1999 Marco Polo
Trame sonore empruntée aux archives du Web.