Chant VII du Paradis
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Hosanna Sanctus Deus Sabaoth.
Ta beauté, Marco mon bel amant, n'égale point celle de l'Amant suprême.


«Osanna, sanctus Deus sabaòth, superillustrans claritate tua felices ignes horum malacòth». Così, volgendosi a la nota sua, fu viso a me cantare essa sustanza, sopra la qual doppio lume s'addua: ed essa e l'altre mossero a sua danza, e quasi velocissime faville, mi si velar di sùbita distanza. Io dubitava e dicea 'Dille, dille!' fra me, 'dille', dicea, 'a la mia donna che mi diseta con le dolci stille'.


RETOUR À LA PORTE DU PARADIS


"Hosanna, sanctus Deus sabaoth, superillustrans claritate tua felices ignes horum malacoth!" Ainsi, je vis chanter, tournant sur elle-même, ces deux lumières qui s'accouplaient entre elles; elle et les autres reprirent leur danse; comme des étincelles très rapides, elles disparurent à mes yeux et s'éloignèrent soudainement. J'étais plongé dans le doute et je me disais en moi-même: "Parle, parle donc à ta dame pour qu'elle apaise ta soif de comprendre, par le mouvement bienfaisant de ses lèvres." Jeanne comprit mon trouble et, éblouissante, d'un sourire à rendre heureux tout homme malheureux, elle me parla ainsi: "Ce qui semble t'inquiéter, c'est, comment fut justement vengée une juste vengeance? Mais je vais débarrasser ton esprit de ce doute; écoute bien, car mes paroles sont d'une grande vérité." Et elle commença ainsi: "Tu as péché mon tendre Marco, et tu fus damné comme ceux qui te précédèrent qui, par la faute d'Adam, furent également damnés; par ton péché tu damnas également tes descendants, et tu persistas ainsi dans l'erreur jusqu'à ce qu'il plût à Dieu de m'envoyer pour te sauver, par un acte d'Amour. Prête bien attention à mon raisonnement: Ta nature fut créée, unie à celle de ton Créateur, elle était alors pure et bonne, mais, par ta faute, tu as été banni du paradis, pour t'être détourné de la Vérité et de ta destinée. Le châtiment qui me vit mourir sur le Bûcher fut juste, car tu as péché et que tu es de nature humaine. Mais il fut injuste, puisque je suis de nature céleste et que je n'avais point péché en toi. D'un même acte sortirent des effets différents, et ma mort plut à Dieu, aussi bien qu'à l'Église de France qui voyait en moi, une sorcière. Ne trouve donc pas si étrange que l'on te dise, qu'une juste vengeance fut ensuite vengée par une juste cour. Mais je vois maintenant que, de pensée en pensée, ton esprit erre et s'embrume et qu'il a grand désir d'être libéré." Alors, je dis à Jeanne: "Je comprends bien ce que j'entends, mais pourquoi Dieu a-t-il voulu que toi, Jeanne, tu meures pour ma rédemption, cela me reste caché." Et elle répondit: "Ce décret, mon cher Marco, demeure impénétrable aux yeux de tous ceux, dont l'intelligence n'a pas mûri aux flammes de l'Amour. Mais cependant, parce que sur ce sujet on a beaucoup réfléchi sans y voir bien clair, je vais te dire pourquoi ce moyen fut le plus digne. La divine Bonté, qui ne connaît point l'envie, ne brûle en soi que du seul désir de multiplier ses beautés éternelles. Tel tu étais, Marco, qui m'apparaît ici si vulgaire, et qui, en péchant, s'est privé de ces dons dont elle a pourvu la créature humaine; sois heureux d'être toujours éternel, mais vois comme je suis malheureuse que tu aies sacrifié ta liberté en péchant, et qu'ainsi ta beauté, Marco mon bel amant, n'égale point celle de l'Amant suprême. Tu ne peux espérer retrouver ta dignité que par un juste châtiment, qui soit à la mesure de ton plaisir coupable. Par ton péché, tu as refusé ces dons du Divin comme tu t'es coupé du paradis; et si tu veux bien m'entendre, sache que tu peux n'y entrer que par l'une ou l'autre de ces deux voies: Ou que Dieu te pardonne tes péchés, ou que par toi-même tu sois satisfait pour ta faute. Essaie de saisir les desseins éternels si tu le veux, en suivant mon raisonnement d'aussi près que tu le peux. En voulant te mesurer à Dieu, tu as commis un péché d'orgueil infini, et il ne t'es plus possible d'aller aussi loin, dans quelque acte d'humilité ou d'obéissance, qui puisse racheter ta faute. C'est pourquoi Dieu seul peut te ramener à la dignité entière de ta vie, en usant de voies qui lui sont propres, par sa miséricorde, par sa justice ou par les deux à la fois. Dis-moi, mon tendre Marco, quel acte d'amour aurait été plus grand, pour moi de te pardonner ta faute, ou de me sacrifier moi-même sur le Bûcher afin de te rendre capable de te relever toi-même?" Et Jeanne ne dit plus rien, mais moi, j'avais d'autres désirs à combler et je lui demandai: "Dis-moi Jeanne, toi qui peut comprendre, voudrais-tu combler ces autres désirs en moi afin que j'y vois aussi nettement que toi. Je vois de l'eau, je vois du feu, de l'air et de la terre ainsi que des substances qu'on ne peut voir, et je vois aussi leurs mélanges, se corrompre et durer peu, et se transformer, et devenir d'autres substances aussi bien que de nouvelles créatures. Si donc ce que l'on dit est vrai, devraient-elles être immuables, et à l'abri de la corruption?" Et Jeanne répondit: "Les anges et les régions qu'ils habitent furent créés par Dieu, tels qu'ils sont, dans la perfection de leur être. Mais les éléments dont tu parles ainsi que leurs composés, n'ont pas été créés directement par Dieu, mais résultent de la combinaison de choses créées, de sorte qu'ils sont corruptibles." "Mais, dis-moi Jeanne, l'homme n'est-il point une combinaison de toutes ces substances corruptibles, et, en cela, serait-il lui-même corruptible?" "Ton âme, mon cher Marco, pense à ton âme qui, elle, n'est point corruptible et qui est le Produit de la Bonté divine et qui l'enflamme d'amour pour elle, afin d'en être ensuite toujours désirée." Et je continuai ainsi: "Mais pourquoi Dieu aurait-il créé la femme fragile et belle, l'homme rude et laid tel qu'on les voit; et si la femme se transformait en un homme et l'homme en une femme, comment expliquer que cette métamorphose puisse être le produit de la Création? Serait-ce alors le cheminement normal de l'évolution, la combinaison aléatoire de toutes ces substances corruptibles, ou bien le produit d'une manipulation sociale, de sorte que l'homme serait lui-même corruptible? Voudrait-on y voir là, un attentat au métier de Dieu ou une simple erreur de calcul du Créateur, ou rien de tout cela mais autre chose, qui serait quoi, dont je n'ai aucune idée? La procréation serait-elle une invention de Dieu, ou un produit de la génération spontanée; ainsi, advenant la fin de la procréation, serait-ce la disparition de l'homme ou un nouveau chaînon dans l'évolution; l'homme deviendrait-il Dieu lui-même, ou bien Satan se prendrait-il pour Dieu? Assisterions-nous, alors, en la disparition de l'homme en même temps que celle de Dieu? Voilà toutes les questions que je me pose, elles ne semblent point confondre l'esprit des hommes, mais devraient pourtant inquiéter Dieu dans sa grandeur." "Esprit borné, oublie donc ce vil corps que tu portes comme un vêtement, et que tu respectes ou que tu souilles, et qui n'est qu'une enveloppe mortelle qui n'a d'autre but que de contenir ton âme." "Mais ma chatte qui m'attend à la maison, à qui j'ai donné le doux nom de Jeanne, inquiète de mon absence, n'a-t-elle point, elle aussi, une âme, et cette âme n'est-elle point plus méritoire que celle de bien des hommes que je connais, et dont la sensibilité semble se situer en deça du niveau d'une substance corruptible?" "Mais c'est bien là le propre de la nature humaine, de pouvoir choisir entre le mal ou le bien, et c'est ce qui différencie l'homme de l'animal, en ce qu'il possède le libre arbitre; tu as bien raison de penser que l'homme puisse descendre ainsi plus bas que l'animal, et qu'en même temps il se croit être capable de devenir Dieu lui-même." "Voici Jeanne, comment je m'explique ces choses et tu le sais bien, toi qui vois en moi, mais je voudrais que tu m'expliques encore, et que j'essaie de comprendre comment, mon corps, après ma mort, pourrait-il ressusciter, et se reformer dans ses matières corrompues, et retrouver l'intégralité de son âme dans le magma informe de l'Âme universelle dans laquelle elle se sera diluée par la mort de mon corps?" "Dieu a créé ces choses sans l'intervention de causes secondaires et qui, partant, sont éternelles. La nature humaine a été créée par Dieu ainsi que son âme différenciée, comme tu peux le voir en moi qui est ta Jeanne, et cela tu le sais très bien. L'homme est donc immortel et il doit ressusciter. Contente-toi de croire, puisque ton esprit est trop vulgaire pour comprendre."



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: glorificamus de John Redford, emprunté aux Classical Midi Archives.
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CHANT VIII DU PARADIS