Chant XXVII du Purgatoire
image de Gustave Moreau

Le goût des Plaisirs éternels.
Venez au séjour de Mon Père, et toi Marco, soit reçu tel un Amant!


Sì come quando i primi raggi vibra là dove il suo fattor lo sangue sparse, cadendo Ibero sotto l'alta Libra, e l'onde in Gange da nona riarse, sì stava il sole; onde 'l giorno sen giva, come l'angel di Dio lieto ci apparse. Fuor de la fiamma stava in su la riva, e cantava 'Beati mundo corde!'. in voce assai più che la nostra viva. Poscia «Più non si va, se pria non morde, anime sante, il foco: intrate in esso, e al cantar di là non siate sorde»,


RETOUR À LA PORTE DU PURGATOIRE


Elle se tenait tout près, hors des flammes, et elle chantait: "Bienheureux ceux, dont le coeur est pur!" Et le bel Ange du ciel ajouta: "Arrêtez, âmes saintes, et pénétrez ce feu, ne résistez point aux chants de la Sirène qui vous invite au-delà des flammes." Mais je me tenais près du feu et j'avais peur, et mon guide me dit: "Mon fils, ce n'est pas la mort qui t'attend, rien qu'un supplice passager, et cette flamme ne saurait te brûler; ce n'est qu'un mur, entre toi et Jeanne, que tu dois franchir avant que de goûter aux Plaisirs éternels." Puis il entra dans le feu suivi de Dante, qui allait en Paradis, et, en entendant le nom de Jeanne, mes craintes s'envolèrent. Je les suivis dans les flammes et tout en marchant, il alimentait mon courage en me parlant d'Elle: "Il me semble voir déjà ses doux yeux." Au-delà du feu, une voix, aux accents délicats, nous guidait: "Venez, venez au séjour de Mon Père, et toi Marco, soit reçu tel un Amant!" Et, au-delà du feu, la lumière m'envahit, et je ne pus la regarder plus longtemps. La voix ajouta: "Ne vous arrêtez pas, car il fera nuit bientôt" Et nous fûmes très tôt vaincus par la fin du jour. Au moment où le sommeil invite aux jeux de l'amour, il m'a semblé voir en songe une femme jeune et belle, elle allait dans une prairie cueillant des fruits, des fleurs et des lianes et qui n'avait, pour seuls vêtements, que ses longs cheveux d'or. Elle disait en chantant: "Toi qui vas me demander mon nom, sache que je suis Ève, que de mes mains agiles, je me joue de toi et que je retiens ton beau corps attaché nu à cet arbre, avec des liens faits de guirlandes fleuries. Je ne suis pas comme Lilith, ma soeur, qui se masturbe devant le miroir alors que moi, je préfère agir et ensorceler les mâles, pour me les offrir comme des Fruits murs." Mais déjà la nuit faisait place au jour, et mes rêves s'envolèrent. "Ce Fruit, qui attise l'appétit des hommes, apaisera aujourd'hui ta faim." Ces paroles dites par Baudelaire, au moment où nous reprenions la route, me donnèrent un tel plaisir qu'aucun présent n'aurait pu les remplacer. Mon désir d'être là-haut était tel, qu'il me donnait des ailes. Quand nous fûmes arrivés au faite de la montagne, mon guide dirigea son regard sur moi et il me dit: "Je t'ai conduit ici, par ma science et mon art, à travers des chemins ardus et étroits. Sers-toi désormais de ton seul plaisir comme guide. Vois, là-bas, le soleil, l'herbe tendre, les fleurs, jusqu'à ce qu'apparaissent, remplis de joie, ces beaux yeux qui, en pleurant, m'ont fait venir jusqu'à toi. N'attends plus de moi ni gestes ni conseils. Tu es libre et ton jugement est sain, c'est pourquoi je te rends la maîtrise de toi-même."



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: romanesca de Alonzo Mudarra, emprunté aux Classical Midi Archives.
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CHANT XXVIII DU PURGATOIRE