Chant XVIII du Purgatoire
image Luis Rojo

Tout ce que tu devrais connaître de l'amour.
Le libre arbitre


Posto avea fine al suo ragionamento l'alto dottore, e attento guardava ne la mia vista s'io parea contento; e io, cui nova sete ancor frugava, di fuor tacea, e dentro dicea: 'Forse lo troppo dimandar ch'io fo li grava'. Ma quel padre verace, che s'accorse del timido voler che non s'apriva, parlando, di parlare ardir mi porse. Ond'io: «Maestro, il mio veder s'avviva sì nel tuo lume, ch'io discerno chiaro quanto la tua ragion parta o descriva.


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Mon érudit guide avait terminé son discours, et il me regardait attentivement dans les yeux pour voir si j'étais satisfait de ses réponses; et moi, qui était avide de savoir, j'avais peur de l'importuner et pourtant, je lui demandai: "Maître, je saisis ton raisonnement, mais je voudrais que tu m'exposes ce qu'est l'amour dont tu dis qu'il en découle toute bonne action ainsi que son contraire." "Ouvre bien grand ton esprit, et tu verras clairement l'erreur des aveugles qui se prétendent tes guides. Sache que ton âme est ainsi faite: elle est, par nature, disposée à l'amour, et elle rejoint ainsi ce qui lui plaît, attirée par le plaisir qu'elle éveille en toi et la fait passer à l'acte. Imagine une femme que ton esprit recèle et dont l'image se déploie en toi en sorte que tu t'éprends d'elle; cet attrait s'appelle l'amour, et par l'effet du plaisir, la fait habiter en toi. Ainsi, comme le feu qui s'élève tout naturellement, ton âme est éprise d'un désir spirituel qui jamais ne s'arrête avant que d'avoir joui de la femme aimée. Tu peux voir maintenant comme la vérité reste cachée à ces guides qui te disent que tout amour est une chose louable en soi, mais elle ne l'est pas toujours, en admettant même qu'elle le soit, l'amour peut être coupable par trop ou trop peu d'ardeur." Je lui répondis: "Tes paroles et ce que mon esprit en retient, m'ont éclairé sur ce qu'était l'amour; mais cela n'a pas diminué mes doutes, car, si l'âme ne se meut que sous l'impulsion de l'amour qui nous vient du dehors, elle n'a plus de mérite à agir en bien ou en mal." Il me répondit: "Je puis te dire tout ce que la raison dit sur ce sujet mais, pour tout ce qui va au-delà, cela concerne la foi et Jeanne saura te l'apprendre mieux que moi. Toute âme, distincte de la matière et unie à elle, a la disposition naturelle à connaître et à aimer, disposition qui ne peut se manifester que par ses effets. Aussi l'homme ne sait-il point, et n'a pas à s'en louer ou s'en blâmer, d'où lui viennent ses dispositions naturelles à aimer, ni l'appétit de ses premières inclinations, qui sont en lui comme l'instinct chez l'abeille de faire le miel; or, pour qu'avec ces tendances innées s'accordent celles qui sont libres, c'est de la raison que découle sa responsabilité, l'occasion de mériter, selon qu'elle accueille ou qu'elle repousse, les bons et les mauvais amours. Ceux qui, par le raisonnement, ont approfondi ces problèmes, reconnurent cette liberté innée, et ils laissèrent au monde la Morale. Si la nécessité engendre tout amour à s'enflammer en toi, tu as en toi tout le pouvoir de le refréner. C'est la noble vertu que Jeanne appelle le libre arbitre, aussi, tâche de t'en souvenir si elle t'en parle." J'avais ainsi reçu une réponse claire et satisfaisante à toutes mes questions, j'étais comme un homme qui rêve tout en somnolent. Mais je fus tout à coup réveillé de ma somnolence par des gens qui approchaient, par-derrière nous, qui avaient déjà fait le tour. Je vis sur cette corniche que venaient, en jouant des hanches, celles qu'éperonne encore une volonté bonne et un juste amour. Elles furent sur nous, allant toujours courant; et devant, deux d'entre elles criaient: "Vite, vite! ne perdons plus de temps par insuffisance d'amour, car le zèle à bien agir, fait reverdir notre grâce." Marie courut en hâte à la montagne, et un inconnu voulut la mettre en berne, il la déflora puis alla se mettre à l'abri. "Ô âmes, en qui la ferveur m'invite à vous donner ce qui vous manque mais celui-là est vif et ne saurait satisfaire vos désirs, aussi, dites-nous où se trouve le passage qui nous fera monter plus haut." Ainsi parla mon guide, et l'un des esprits frivoles répondit d'une voix qui était déjà une caresse: "Suis nos pas et nous te ferons trouver l'issue." Quand ces ombres furent si éloignées de nous qu'on ne pouvait plus les voir, ni espérer d'elles, une pensée nouvelle pénétra mon esprit, dont il naquit plusieurs autres, fort diverses: Et, de l'une à l'autre, j'errai si bien que, par rêverie, je refermai les yeux et mes pensées se transformèrent en un songe.



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: so ben mi de Orazio Vecchi, emprunté aux Classical Midi Archives.
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CHANT XIX DU PURGATOIRE