Chant XVII du Purgatoire
Beati Pacifici, et vas sans colère contre moi.
Tu ne pourras te tromper si ton amour est instinctif.
Ricorditi, lettor, se mai ne l'alpe ti colse nebbia per la qual vedessi non altrimenti che per pelle talpe, come, quando i vapori umidi e spessi a diradar cominciansi, la spera del sol debilemente entra per essi; e fia la tua imagine leggera in giugnere a veder com'io rividi lo sole in pria, che già nel corcar era. Sì, pareggiando i miei co' passi fidi del mio maestro, usci' fuor di tal nube ai raggi morti già ne' bassi lidi.
RETOUR À LA PORTE DU PURGATOIRE
J'étais comme cette femme qui voyait son époux violer sa propre soeur et, pour se venger de ce crime, donna à manger à l'époux la chair de son fils, fruit de cette union; et dans mon esprit, la femme impie se transformait sous mes yeux en un oiseau qui n'a cesse de chanter. Puis, dans ma fantaisie onirique, descendit une femme crucifiée, à l'aspect méprisant et farouche, sur laquelle je venais m'étendre pour mourir; autour et sous nous se trouvaient Jean, puis Marie et aussi Madeleine que j'aimais tant. Et lorsque cette image se brisa d'elle-même, comme une bulle à qui vient à manquer l'eau où elle se forme, surgit devant mes yeux une belle dame qui pleurait à chaudes larmes et qui disait: "Ô bel enfant, pourquoi, dans ta frivolité, as-tu voulu quitter la vie? Tu t'es tué pour ne pas perdre Jeanne, or tu m'as perdue! Je suis ta mère, celle qui pleure ta mort avant celle des autres." Une lumière me frappa au visage, bien plus vive qu'aucune lumière connue, et qui fit s'évanouir les effets de mon imagination. Je me retournais pour voir où j'étais, quand une voix dit: "C'est ici que l'on monte." Je me détournai de toute autre pensée tant sa voix était mélodieuse, et j'avais un désir si ardent de voir celle qui parlait ainsi, que je ne me serais point apaisé avant de l'avoir aperçue de plus près. "C'est un esprit divin qui, sans en être prié, nous dirige vers le chemin de la montée et qui se cache lui-même dans sa propre lumière. Accordons nos pas à sa courtoise invitation, et hâtons-nous de monter avant qu'il ne fasse nuit, car après, nous ne le pourrions plus jusqu'au retour du jour." Ainsi parla mon guide; nous dirigeâmes nos pas vers l'escalier et dès que je fus sur la première marche, je sentis près de moi comme un battement d'ailes et un baiser réchauffer mon visage, puis j'entendis: "Beati pacifici, et va sans colère contre moi!" Nous étions déjà au sommet de l'escalier et nous restions immobiles comme un navire échoué sur la plage; j'attendis un peu cherchant à entendre quelque chose venant de cette nouvelle corniche, puis, je me tournai vers mon maître et lui dis: "Apprends-moi, ô mon doux père, quelle est l'offense que l'on expie ici dans ce cercle où nous sommes; si nous nous arrêtons, que ton discours ne s'arrête point!" Il me répondit: "Ici se repentent ceux qui refusent l'amour parce qu'il nécessite trop d'effort. Mais afin que tu comprennes mieux, prête-moi attention et tu tireras profit de notre retard. Aucune créature non plus que le Créateur ne fut jamais sans amour, qu'il fût, tu le sais bien, un amour instinctif ou libre. Tu ne pourras te tromper si ton amour est instinctif, à moins qu'il soit dévoyé ou détourné par l'amour libre. L'amour libre au contraire, peut se tromper de trois manières: en se portant vers un objet indigne ou en étant trop ardent ou trop peu ardent; mais l'amour ne peut être coupable s'il se dirige vers Dieu, ou s'il est dirigé vers les belles femelles que Dieu a créées et qu'il en use avec modération. Alors, tu peux comprendre que l'amour peut être à la fois la semence de toute vertu et de tout péché. Or, l'amour qui se détourne vers le mal nuit plus au prochain qu'à soi-même et il doit se définir des trois manières suivantes: Celui-là est jaloux du bonheur de son voisin, désire baiser sa femme que pour le voir tomber de plus haut; celui-là qui a tellement peur de perdre son bonheur, désire baiser la femme de celui qui pourrait être plus heureux que lui; celui-là qui a vu son voisin baiser sa femme, désire baiser la femme de son voisin que pour se venger de lui. Tu peux voir au-dessous de nous ceux qui pleurent de ces trois formes de l'amour; et je veux te parler maintenant de cet autre amour, qui va avec perversité vers le bien. Chacun a une idée confuse d'un amour où son âme puisse se reposer, il le désire; par suite, il s'efforce de l'atteindre. Si vous êtes trop lent à connaître ou à acquérir cet amour, cette corniche, après un juste repentir, vous en punit. Il est un autre bien terrestre qui ne rend pas l'homme heureux; ce n'est pas le bonheur ni l'essence divine ni le fruit et la racine de tout bien; et qui s'abandonne à cet amour, pleure dans les trois cercles qui sont au-dessus de nous; mais comment il se distingue en ses trois vices, je ne te le dis point, pour que tu le découvres par toi-même."
Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: le prince Igor, danses polovtsiennes d'Alexandre Borodin, emprunté aux Classical Midi Archives.
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