Chant XVI du Purgatoire
image de Rackman

Le pouvoir despotique du cléricalisme séculaire.
Les lois existent, mais qui s'inquiète de les faire respecter?


Buio d'inferno e di notte privata d'ogne pianeto, sotto pover cielo, quant'esser può di nuvol tenebrata, non fece al viso mio sì grosso velo come quel fummo ch'ivi ci coperse, né a sentir di così aspro pelo, che l'occhio stare aperto non sofferse; onde la scorta mia saputa e fida mi s'accostò e l'omero m'offerse. Sì come cieco va dietro a sua guida per non smarrirsi e per non dar di cozzo in cosa che 'l molesti, o forse ancida,


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Noirceur d'enfer, une fumée nous recouvrit alors, qui fermait nos yeux et mon guide m'offrit son épaule comme à un aveugle. "Toi, qui es-tu, qui traverses notre fumée et qui parles de nous comme si tu partageais encore le temps qui dure peu de temps?" Ainsi nous parla l'une de ces voix. Et je lui répondis: "Je m'en vais là-haut avec mon enveloppe qui se dissout avec la mort, et je suis venu ici à travers les angoisses de l'enfer; puisque Dieu m'a si bien accueilli dans sa grâce, qu'il veut que je voie sa cour d'une manière tout inconnue à notre temps, ne me cache pas qui tu fus avant la mort, mais dis-le-moi et dis-moi si je vais bien au passage; que tes paroles nous servent de guide." "Ne te diront rien, ni mon nom ni le lieu d'où je viens; je pourrais être n'importe qui, de n'importe où. Pour monter plus haut, tu es dans la bonne voie." Et il ajouta: "Frère, toi qui viens d'en bas, dis-moi que le monde est aveugle!" Et un autre répliqua: "Vous les vivants, n'attribuez qu'au ciel toutes les causes, comme si tout était nécessairement entraîné avec lui. S'il en était ainsi, le libre arbitre n'existerait point en vous et, il ne serait pas juste, que le bien nous procure la joie, et le mal la souffrance. Le ciel est le principe qui dirige tous vos mouvements; il vous a légué une lumière pour discerner entre le bien et le mal, ainsi que la volonté libre qui, malgré la peine des premières chutes, l'emporte enfin contre le ciel si elle est bien alimentée. Libres, vous êtes soumis à une force plus grande, à une meilleure nature qui crée en vous l'âme raisonnable, sur laquelle le ciel n'a plus de pouvoir. Si donc le monde actuel est dévoyé, il faut en chercher la cause en vous, et je vais t'en donner des preuves irréfutables. Comme une fillette qui se joue, à la manière des enfants en pleurant et en riant, goûte à la saveur de biens médiocres, elle s'y trompe et court à leur poursuite et en veut toujours davantage, si un guide ou un frein ne la détourne de son amour. Notre âme sort ainsi toute innocente de la main de Celui qui se complaît en elle avant qu'elle ne soit, elle ne sait rien sinon qu'issue d'un Créateur qui est la joie parfaite. Aussi fallut-il des lois pour servir de frein, et un roi pour reconnaître la justice de la cité. Les lois existent, mais qui s'inquiète de les faire respecter? Personne, car celui qui marche à la tête du troupeau, rumine, mais ne les respecte pas lui-même, aussi la foule qui voit son guide user des faux biens dont elle-même est avide, s'en repaît et ne cherche pas plus loin. Tu peux donc voir que c'est parce qu'il est mal gouverné que le monde est devenu méchant, et non pas parce que votre nature est corrompue. Le monde doit posséder deux soleils pour l'éclairer, celui de la Terre et celui du Ciel, si l'un d'eux s'éteint au profit de l'autre, l'un et l'autre ensemble doivent de toute nécessité aller mal, car reliés, l'un ne craint plus l'autre. Ainsi, l'état civil qui englobe les deux pouvoirs en soi, tombe dans la fange et se souille lui-même ainsi que sa charge." Et je répondis ainsi à cette âme volubile: "Je comprends maintenant mieux pourquoi, dans le monde que j'ai quitté, ce ne sont plus les lois morales qui dictent aux masses la portée de leurs actes, mais la fanfare tonitruante des groupuscules représentant le pouvoir émergeant d'un cléricalisme séculaire; ils professent leur licence, leur débauche et leur décadence et perturbent l'esprit du pouvoir civil, par leurs parades, leurs pancartes, leurs fanfares et leur morale de nouveaux clercs, de sorte que le plaisir remplace l'amour, que l'euthanasie supplante la naissance, que la rapine remplace la probité, que la violence supplante la persuasion et que Satan gouverne enfin. Vois la clarté, qui rayonne à travers la fumée, blanchir déjà; l'ange est ici, avant qu'il ne paraisse, il me faut partir." Sur ces mots, il s'en retourna et plus ne voulut m'entendre.



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: Atalanta fugues (fugiens8), emprunté aux Archives du Alchemical Music.
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CHANT XVII DU PURGATOIRE