Moucharabiah.
extraits de poésie arabe.
Parmi tous les vêtements, que Dieu confonde le voile! tant que nous vivrons, ce sera un fléau pour les jeunes. Il nous cache les belles, sans que nous puissions les voir, camoufle les vilaines pour nous induire en erreur. Adieu O Mayya! Tes lèvres par un orfèvre ciselées, après le sommeil, et ton corps, tendre rameau brisé! Je revois les deux prunelles, un cou gracile et blanc; je revois les flancs alanguis ou affleure le sang, uniques, tirant la poursuite, au mépris des gazelles... nous tuant sans pitié, sous le blâme et la réprimande. Elle a vu ma pâleur, elle a vu mes rides multiples, après les injures du temps et du siècle superbe, dépouillant tout mon corps de sa frondaison de jeunesse; feuilles mortes, quand on agite un rameau nu, qui tombent... ou plutôt j'ai rompu l'étreinte, acceptant le refus, et la soeur des Banou-Labîd en a été surprise. DHOU'L-ROUMMAH (117-735) Sur le sable, l'empreinte de nos corps Arrêtons-nous et pleurons au souvenir de l'aimée. Maison près du banc de sable entre Dakhoul et Harmal, Toudiha et Migrat, les vents du Nord et du Midi leur étoffe ont tissé mais n'ont point effacé sa trace. Mes compagnons près de moi ont arrêté leurs montures, disant: "Maîtrise-toi et fuis cette affliction mortelle." Ma guérison, amis, c'est de laisser couler mes larmes; mais doit-on s'affliger d'une trace effacée? N'as-tu pas courtisé Oumm-oul-Houwayreth avant elle, et puis encore la belle Oumm-oul-Rabab à Ma'sal? Quand elles se levaient, des effluves de musc partout se répandaient, parfum d'oeillet porté par le zéphyr. En les quittant, d'abondantes larmes avaient coulé jusqu'à ma gorge et mon ceinturon en était mouillé. Oui, plus d'un jour parfait d'elles tu as pu obtenir, et surtout, parmi ces jours, celui de Darah-Djouldjoul. Et cet autre ou j'ai tué mon cheval pour les pucelles, quelle surprise de les voir toutes décamper sous leur charge! L'une à l'autre, les morceaux elles s'étaient arraché, la viande, puis la graisse aux bords frangés comme la soie. Je suis entré un jour dans le palanquin d'Onayza... "Malheur! Tu vas me forcer d'aller à pied, me dit-elle." et entre-temps le palanquin ployait avec nous deux... et puis: "Descends, Imrou'l-Quays, tu fatigues ma bête." Et moi de lui répondre: "Va, laisse filer sa longe; ne m'éloigne pas, de grâce, de ton fruit qui distrait... J'ai visité des femmes comme toi, et même enceintes, qui ont laissé leur nourrisson, entouré d'amulettes... S'il pleurait, de moitié se tournaient vers lui, et mon soc les pourfendait tranquillement, sans être détourné." L'une un jour se refusa sur la colline de sable, s'obligea de rompre, par un serment indissoluble. Doucement! ô Fatima, après ta coquetterie. modère-toi, même si la rupture est décidée. Cela t'a-t-il séduite de voir ton amour me tuer, de constater que mon coeur t'obéit sans murmurer? Si quelque créature t'a poussée à ma haïr, sépare nos habits: tu verras qu'unique en est la trame. Tes beaux yeux n'ont pleuré qu'afin de mieux lancer les traits qui ont blessé à mort un coeur déchiré de douleur. Au coeur même d'une alcôve imperméable au désir, avec ma belle à loisir j'ai savouré mon bonheur. J'avais passé à travers une troupe de gardiens qui me guettaient, me préparant une mort infamante; lorsque dans le ciel la Pléiade s'était déployée, comme un assortiment de perles sur une ceinture, je suis entré, alors qu'elle avait pour dormir ôté près du rideau ses habits, sauf la tunique légère. "Non! Par Dieu! Ta ruse n'a pas de cours ici, dit-elle, je vois que tes séductions sont loin de disparaître." Je l'emmène aussitôt, lui ouvrant le chemin, mais elle, traînant un manteau d'homme à terre, effaçait nos deux traces. Lorsque nous eûmes traversé la place du village et atteint le fond d'un vallon encerclé par les dunes, de mes mains sur ses tempes je l'incline, elle se ploie sur moi, taille mince et jambe prospère, ornée d'anneaux. Svelte et blanche, elle n'offrait aucune ample solitude; sa poitrine était lisse et polie ainsi qu'un miroir. Reflets de refus ou désirs sur un visage lisse, oeil complaisant d'un fauve de Wadjrah sur son petit, un cou aussi beau que celui de la gazelle blanche, délicat, lorsqu'il se dresse, et sans aucun ornement; la chevelure abondante et très noire, ornant le dos. riche ainsi qu'un rameau de palmier chargé de fruits; et ses boucles rebelles se relèvent indomptées, noyant les rubans dans un flot d'ondes enchevêtrées; des flancs délicats, souples comme une corde tressée; la jambe, un cep soutenu dans une terre irriguée, et des miettes de musc dessus sa couche éparpillées, elle dort, le soleil haut, en tenue négligée. Elle prend, elle reçoit avec de tendres mains souples, vrilles des vignes de Zabyi ou cure-dents d'Ishil; à l'entrée de la nuit, elle dissipe les ténèbres, tel un feu, la nuit, d'un moine voué au célibat. L'homme doux s'éprend avec ardeur de femmes comme elle, ayant ainsi grandi entre cuirasse et bouclier. Pucelle dont l'or jaune fait ressortir la blancheur, qu'a fait fructifier une eau abondante et salutaire... les insensés parmi les hommes se sont consolés de leur amour, mais le mien, mon coeur ne peut l'oublier. IMROU'L-QUAYS (environ 540) De ses longs cheveux se voilant... Le voile a glissé sans qu'elle voulût le voir tomber. D'une main le saisit et de l'autre, nous fit signe d'avoir à craindre Dieu, en réprimant notre curiosité avide. Une main aux doigts teints, souple, aux extrémités déliées comme fruits de l'anam, qui semblent ne pouvoir se nouer, tant est grande leur délicatesse. Puis, de ses longs cheveux noirs, à demi bouclés, se couvrant, elle se ploya comme la vigne s'appuie sur l'étançon qui la soutient. Puis elle te regarda comme pour te rappeler que, malgré sa prière, tu aurais pu obtenir ce que tu n'as pas essayé de prendre... lourd regard d'attente qu'un malade adresse à ceux qui viennent lui rendre visite. AL-NABIGHA AL-DHOUBYANI (environ 535-604) Partage J'éprouve une honte aux regards des humains quand je vois les amants se succéder, et pense à mon successeur, Quand, après un amour total, je m'abreuve à ta bouche, et j'accepte de toi une étreinte atténuée, Je vois toujours des fétus de paille dans une eau trouble, et quand s'y abreuvent beaucoup de gens, elle est fangeuse. Palanquin Je n'ai cessé de suivre les traces de la tribu, jusqu'à ce que j'aboutisse devant le palanquin. De son gîte alors je m'approchai à la dérobée pour me glisser enfin par le chemin secret vers elle. Entre la peau douce de ses mains teintes de henné, elle tint ma tête pour en connaître le toucher. "Par mon frère vivant et par la bonté de mon père, dit-elle, j'alerte mes gens, si tu ne sors d'ici." Par crainte des cris j'allais sortir quand elle sourit; je vis alors que son serment ne serait pas tenu. J'embrassai sa bouche, tenant ses boucles dans mes mains, ivre, savourant l'eau fraîche dans le creux d'un rocher. Une seule nuit avec toi... Encore enfant, je me suis lié par le désir d'elle, et ce désir avec moi n'a cessé de croître en âge jusqu'à ce jour, et d'augmenter en force et en intensité. J'ai donc dilapidé ma vie, en attendant qu'elle veuille bien m'accorder ses dons; et, en elle, mes jours nouveaux, je les ai transformés en guenilles fatiguées. Puissé-je enfin passer une seule nuit avec toi à Wadi'l-Qoura! Alors je m'estimerai heureux. Car auprès d'elle et de ses compagnes, les propos les plus bénins me seraient un sourire, et tout assassiné deviendrait un martyr. DJAMIL (environ 700)
Marco Polo ou le voyage imaginaire (poésie arabe de René R.Khawam) février 2005, Jean-Pierre Lapointe
(poésie accompagnée de manuscrits arabes, musique from Midi World Archives)