Viens, rejoins-moi au banquet de l'Amour.

Second service: un conte homosexuel inspiré du Banquet de Platon.

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"Les métamorphoses de l'Androgyne.


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Puis ce fut au tour d'Aristophane de prendre la parole. Il parla ainsi: "Amour est le dieu le plus ami des hommes: il vient à leur secours, il apporte ses remèdes aux maux dont la guérison apporte le plus grand bonheur aux humains. Je vais donc ici vous exposer sa puissance mais d'abord, il me faut expliquer la nature humaine."

"Jadis, notre nature était bien différente. Outre le genre mâle et femelle, il existait chez les humains un troisième genre qui tenait des deux autres, dont le nom, déshonoré de nos jours, nous est resté, soit l'androgyne. Il tenait du mâle et de la femelle."

"Selon ce qu'en dit Homère, ils étaient forts, orgueilleux, et ils tentèrent d'escalader le ciel pour y combattre les dieux. Alors Zeus, qui ne pouvait pas les sacrifier et détruire ainsi l'espèce humaine, réfléchit ainsi: "Je crois pouvoir les soumettre tout en leur conservant leur qualité d'hommes. Je vais couper chacun d'eux par le milieu. Ils seront ainsi plus faibles mais plus nombreux à me rendre hommage. Ils marcheront droit sur leurs jambes et s'ils sont encore insolents, je les couperai à nouveau en deux."

"Ayant parlé ainsi, il coupa les hommes en deux comme on coupe les légumes pour les mettre en conserve. Quand l'homme primitif eut été dédoublé par cette coupure, chacun, regrettant sa moitié, tentait de la rejoindre. S'embrassant, s'enlaçant, l'un à l'autre, désirant ne former qu'un seul être, ils mouraient de faim, et d'inaction aussi, parce qu'ils ne voulaient rien faire l'un sans l'autre. Et quand une des moitiés mourrait et que l'autre survivait, la moitié survivante en cherchait une autre et s'enlaçait à elle, ce que nous appelons aujourd'hui la moitié d'une femme ou la moitié d'un homme. Ainsi l'espèce risquait de s'éteindre et Zeus eut pitié de l'homme. Il leur fabriquat des organes de génération et fit que par ce moyen, les hommes engendrèrent les uns dans les autres, par l'organe mâle dans celui de la femelle."

"Son but était que dans l'accouplement, si un homme rencontrait une femme, ils auraient un enfant et l'espèce se reproduirait ainsi; mais si un mâle rencontrait un mâle, ils trouveraient au moins une satiété dans leurs rapports, ils se calmeraient et ils se tourneraient vers l'action, et pourvoiraient aux autres besoins de leur existence."

"C'est de ce temps lointain que date l'Amour inné des hommes les uns pour les autres, celui qui rassemble des parties de notre nature ancienne, qui de deux êtres essaient d'en faire un seul, et de guérir ainsi la nature humaine."

"Chacun d'entre nous est donc une fraction d'être humain qui a été coupé et dédoublé dont il existe quelque part le complément. Et chacun est en quête perpétuelle de ce complément. Dans ces conditions, ceux des hommes qui sont une part de ce composé des deux sexes qu'on appelait alors androgyne, sont Amoureux des femmes, et c'est de là que viennent la plupart des hommes adultères; de la même façon, les femmes qui aiment les hommes et qui sont adultères, proviennent de cette espèce; quant à celles des femmes qui sont une part de femme, elles ne prêtent aucune attention aux hommes, leur inclination les porte plutôt vers les femmes, et c'est de cette espèce que viennent les petites amies des dames."

"Ceux qui sont une part de mâle recherchent les mâles et, tant qu'il sont enfants, comme ils sont de petites tranches du mâle primitif, ils aiment les hommes, prennent plaisir à coucher avec eux, à être dans leurs bras. Ce sont les meilleurs des enfants et des jeunes gens, parce qu'ils sont les plus virils de nature. Certains disent, bien sûr, qu'ils sont impudiques, mais cela est faux. Car ils n'agissent pas ainsi par impudicité, mais c'est leur hardiesse, leur virilité, leur air mâle, qui les fait chérir ce qui leur ressemble. La preuve en est que quand ils sont complètement formés, les garçons de cette espèce sont les seuls à se montrer des hommes, en s'occupant de politique et de divertissement. Devenus des hommes, ils aiment les garçons; le mariage et la paternité ne les intéressent guère, cela fait partie de leur nature; la loi seulement les y contraint, mais il leur suffit de passer leur vie côte à côte, en célibataires. En un mot l'homme ainsi fait aime les garçons et chérit les amants, car il ne s'attache qu'à l'espèce dont il fait partie."

"Quand donc l'Amoureux des garçons, ou tout autre homme rencontre l'être qui est précisément la moitié de lui-même, une émotion extraordinaire les saisit, effet de l'amitié, de l'affinité, de l'Amour, et ils refusent d'être, ne fût-ce qu'un moment, détachés l'un de l'autre. Et ces êtres qui passent toute leur vie l'un avec l'autre sont des gens qui ne sauraient même pas dire ce qu'ils attendent l'un de l'autre; nul ne peut croire en effet que ce soit la jouissance Amoureuse, et se figurer que telle est la raison de leur joie et de leur grand empressement à vivre côte à côte. C'est autre chose, évidemment, que veut l'âme de chacun, une chose qu'elle ne peut exprimer, mais elle devine ce qu'elle veut et le laisse obscurément entendre."

"Et si, tandis qu'ils sont couchés ensemble, Héphaistos se dressait devant eux avec ses outils et leur demandait: "Hommes, que voulez-vous l'un de l'autre?" et si les voyant embarrassés, il demandait encore: "Votre désir n'est-il pas de vous identifier l'un à l'autre autant qu'il est possible, de manière à ne vous quitter ni la nuit ni le jour? Si tel est votre désir, je veux bien vous fondre ensemble et vous souder l'un à l'autre au souffle de ma forge, en sorte que de deux vous ne fassiez qu'un seul et que toute votre vie vous viviez tous deux comme si vous n'étiez qu'un, et qu'après votre mort, là-bas, chez Hadès, vous ne soyez pas deux, mais un seul, dans une mort commune. Voyez: est-ce à cela que vous aspirez? et ce sort vous satisfait-il?" à ces paroles aucun d'eux, nous le savons, ne dirait non, et ne montrerait qu'il veut autre chose. Il penserait tout simplement qu'il vient d'entendre exprimer ce que depuis longtemps sans doute il désirait; se réunir et se fondre avec l'être aimé, au lieu de deux n'être qu'un seul."

"Je parle, moi, des hommes et des femmes dans leur ensemble, et je déclare que notre espèce peut être heureuse si nous menons l'Amour à son terme et si chacun de nous rencontre le bien-aimé qui est le sien, retrouvant ainsi sa nature première. Si tel est l'état le plus parfait, il s'ensuit forcément que, dans le présent, ce qui s'en rapproche le plus est aussi la chose la plus parfaite, et c'est la rencontre d'un bien-aimé selon son âme."

"Voila, Éryximaque, mon discours sur l'Amour, ne le tourne surtout point en dérison."

Éryximaque répondit: "Eh bien, ton discours m'a plu et si je ne savais que Socrate et Agathon sont de grands maîtres en Amour, je craindrais qu'ils soient en peine de parler, mais en eux j'ai confiance. Entendons d'abord ce qu'a à en dire Agathon."



Socrate ajouta: "Tu as bien tenu ta partie dans ce concours, Aristophane. Mais si tu étais maintenant à ma place, ou plutôt à celle où je serai quand Agathon, lui aussi, aura fait un beau discours, tu aurais grand peur, et tu serais très embarrassé, comme je le suis en ce moment."

Et Agathon, quoique gêné par les propos de Socrate commença malgré tout: "Je vous parlerai d'abord de la nature d'Amour, avant que d'en faire l'éloge. Il est jeune et délicat, car c'est le plus jeune des dieux. Il fuit la vieillesse, laquelle est rapide, on le sait, et vient à nous en tout cas plus vite qu'il ne faudrait. L'Amour, c'est clair, la hait naturellement, et ne l'approche pas même de loin. Mais il est toujours en compagnie de la jeunesse, il reste près d'elle. Et comme dit le dicton: "Qui se ressemble s'assemble." Donc Amour est jeune et délicat mais il n'a pas, hélas, d'Homère pour faire son éloge, comme il l'a fait d'Até quand il a dit: "ses pieds sont délicats, et sans froler le sol, elle avance en marchant sur les têtes des hommes.""

"Ainsi il faut louer la délicatesse du dieu car ses pieds ne marchent pas sur terre mais il marche et il habite dans ce qui est le plus tendre au monde. Il établit sa demeure dans les coeurs et dans les âmes des dieux."

"Voilà ce que j'avais à dire sur la beauté du Dieu. Parlons maintenant des vertus de l'Amour:

"L'Amour ne cause ni n'endure d'injustice, il ne fait de tort à personne, homme ou dieu, il n'en subit de personne, homme ou dieu. La violence n'atteint pas l'Amour. Après la justice, la tempérence la plus grande est son lot, celle qui consiste à dominer plaisirs et désirs. Il n'est pas de plus grand plaisir que l'Amour, et il domine tous les autres de sorte qu'il doit être, au suprême degré, tempérant. Quant au courage, même Arès n'a le courage de lutter contre lui quant Amour s'empare d'Aphrodite car il est le plus fort et le plus courageux. Je dirai qu'Amour est poète et un créateur habile, dans tout ordre de création qui émane des Muses. Ainsi se sont réglés les différends des dieux, quand l'Amour fut apparu parmi eux, l'Amour de la beauté, bien sûr, car il ne s'attache point à la laideur."

"Avant, des choses horribles se passaient chez les dieux, d'après ce qu'en dit la légende, c'était alors le règne de la Nécessité. Mais quand ce dieu fut né, de l'Amour des belles choses sortirent tous les biens, pour les dieux comme pour les hommes. Luxe, Délicatesse, Volupté, les Grâces, la Passion, le Désir, sont ses enfants. De tous les dieux, de tous les hommes, il est l'honneur; c'est le guide le plus beau, le meilleur, et tout homme doit le suivre, célébrer sa gloire en des hymnes qui soient beaux, et tenir sa partie dans ce chant qui enchante l'esprit des dieux et de tous les hommes."

"Voilà donc mon discours, cher Phèdre: qu'il soit mon offrande à Amour, le plus grand des dieux."




Quand Agathon eut fini de parler, toute l'assistance acclama le jeune homme, pour s'être exprimé d'une façon digne de lui-même et du dieu.

Alors Socrate, se tournant vers Éryximaque, lui dit: "Crois-tu Éryximaque, que j'ai crains sans raison que le discours admirable d'Agathon aurait pour effet de me mettre dans l'embarras?"

Alors, Phèdre et les autres prièrent Socrate de parler comme il croyait devoir le faire.

"Encore un moment, Phèdre, dit Socrate, laisse-moi poser quelques petites questions à Agathon, pour que je me mette bien d'accord avec lui avant de commencer mon discours."

"Je te laisse faire, dit Phèdre: interroge-le."

"Mon très cher Agathon, ton discours nous a éclairé en montrant qu'elle est la nature de l'Amour et comment, ensuite, il agit. Mais allons plus loin et demandons-nous s'il est dans la nature d'Amour d'être Amour de quelque chose, ou de rien?"

"Bien sur dit Agathon."

"Il est en effet Amour de quelque chose. Mais est-ce qu'Amour désire, ou non, ce dont il est Amour?

"Il le désire asurément. Quand il ne le possède pas: cela du moins est vraisemblable, dit-il."

"Examine donc, dit Socrate, si, au lieu d'être vraisemblable, il n'est pas nécessaire qu'il désire ce qui lui manque, ou qu'il ne le désire pas parce qu'il ne lui manque pas? Pour moi, mon cher Agathon, cela me semble nécessaire à un point étonnant. Et toi, qu'en penses-tu?"

"Je suis du même avis que toi, répondit-il."

"Tu as raison. Donc, un homme qui est grand ne saurait vouloir être grand. Ni être riche, ni être fort s'il l'est déjà?"

"C'est impossible, d'après ce que nous avons admis."

"Il ne saurait en effet, en aucune façon, manquer de ces qualités, puisqu'il les a."

"C'est vrai."

"Suposons en effet, dit Socrate, qu'un homme ne pourrait désirer encore les qualités qu'il possède. Comment pourrait-on désirer précisément ce qu'il a? Mais serait-ce qu'il le désire pour l'avenir mais non pour le présent puisqu'il les a? Ce que j'ai a présent, je le désire aussi dans l'avenir. Dans ces conditions, aimer les choses dont on ne dispose pas encore, que l'on ne possède pas, n'est-ce pas souhaiter que dans l'avenir ces choses-lâ nous soient conservées, et présentes?"

"Assurément."

"Aussi, l'homme qui est dans ce cas, et quiconque éprouve un désir, désire ce dont il ne dispose pas et qui n'est pas présent. Et ce qu'il n'a pas, ce qu'il n'est pas lui-même, ce dont il manque, voilà les objets de son désir et de son Amour."

"Assurément répliqua Agathon."

"Avançons donc, dit Socrate. Récapitulons les points sur lesquels nous sommes d'accord. N'est-il pas vrai que l'Amour, premièrement, s'adresse à certains objets, ensuite qu'il s'adresse à ceux dont il éprouve le manque?"

"Si, dit-il."

"Souviens-toi dans ton discours, de quels objets il est Amour. Tu disais que les dieux avaient réglé leurs différents grâce à l'Amour du beau, car il ne peut y avoir d'Amour du laid."

"C'est bien ce que j'ai dit."

"Tu réponds exactement ce qu'il faut, camarade, dit Socrate, et s'il en est comme tu le déclares, l'Amour ne devrait-il pas être Amour de la beauté, et non point de la laideur? N'avons-nous pas admis qu'il aime ce dont il manque, et qu'il ne possède pas? L'Amour manque donc de beauté, et n'en possède pas. Et cela n'est-il pas le beau? Dès lors, es-tu encore d'avis que l'Amour est beau, s'il en est ainsi?"

"Pour moi, Socrate, je ne suis pas de taille à te contredire: qu'il en soit comme tu dis."

"Non, aimable Agathon, dit Socrate, c'est la vérité que tu ne peux contredire; Socrate, lui, on peut le contredire aisément."

Et Socrate quittant son lit s'approchât du lit où gisait Phèdre absorbé dans la contemplation de son compagnon de lit, il ne semblait plus entendre.



Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes homosexuel, avril 2002) © 2002 Jean-Pierre Lapointe
(hommage à Platon et aux classiques, musique Wang Weilin de Umberto Coletta Midi World Archives)


LE BANQUET: TROISIÈME SERVICE