L'Art d'aimer d'Ovide. Livre Deuxième: deuxième chapitre
Comment te mettre en valeur.
Préambule
L'Art doit gouverner l'Amour
S'il quelqu'un, quelque part, ne connaît rien de l'Amour,
qu'il lise ce poème, et qu'il soit instruit ainsi de l'Art d'Aimer.
Ce n'est pas l'inspiration des divinités
qui me dicte ce poème, mais bien l'expérience.
Écoute alors ce poète instruit par la pratique;
je ne te chanterai que la vérité qui est la mère de l'Amour.
Dans certains cas tu devras provoquer la jalousie:
Il y a des femmes auprès desquelles une obéissance craintive va contre le but,
et dont l'amour languit, faute d'une rivale.
Ainsi quand le coeur languit dans l'indolente torpeur de la sécurité,
il faut employer des aiguillons pénétrants pour réveillér l'amour.
Arrange-toi pour que ta maîtresse ait des inquiétudes sur ton compte;
réveille l'ardeur de son coeur attiédi; qu'elle pâlisse en apprenant ton infidélité.
O heureux celui dont la maîtresse gémit de se voir offensée, et qui, aussitôt s'évanouit.
Puissé-je être celui dont sa fureur arrache les cheveux.
Puissé-je être celui dont ses ongles déchirent les joues délicates,
qu'elle ne peut voir sans pleurer, qu'elle regarde d'un oeil farouche.
Qu'il soit court le temps pendant lequel tu la laisseras se plaindre de son offense,
un trop long retard permettrait à la colère de prendre des forces.
Hâte-toi d'entourer de tes bras son cou blanc, et appuie sur ta poitrine son visage baigné de larmes.
A ses larmes donne les baisers, à ses larmes donne les joies de l'amour.
La paix se fera. C'est le seul moyen de dissiper sa colère.
Lorsqu'elle se sera bien emportée, lorsqu'elle paraîtra une ennemie bien déclarée,
demande-lui de signer sur son lit un traité de paix.
Elle s'adoucira. C'est à ce seul endroit que le pardon est possible.
Pour te faire valoir il faut te connaître toi-même:
Seul celui qui se connaîtra sera sage dans ses amours et proportionnera les entreprises à ses forces.
Si la nature lui a donné de beaux traits, il doit se faire regarder de ce côté;
s'il a une belle peau, il dormira souvent l'épaule découverte;
celui qui plaît dans la conversation évitera un morne silence;
celui qui sait chanter chantera; celui qui sait boire boira.
Mais que les beaux parleurs ne se mettent pas à déclamer dans une conversation ordinaire,
ni les poètes extravagants à lire leurs vers.
Quiconque sera sage dans ses amours triomphera et obtiendra ce qu'il désire
en se conformant à mon traité.
Quelques mots sur les tristesses de l'amour:
Peu de plaisirs et plus de peines, voilà le lot des amants:
qu'ils préparent leur âme à de nombreuses épreuves.
On te dira que ta maîtresse est sortie, au moment où peut-être tu l'aperçois;
pense qu'elle est sortie et que tes yeux te trompent en l'apercevant.
Elle t'a promis sa nuit et sa porte t'est fermée:
supporte avec patience d'étendre ton corps même par terre dans la saleté.
Peut-être une menteuse servante ira-t-elle jusqu'à dire d'un air insolent:
"Pourquoi cet homme assiège-t-il notre porte?"
Suppliant, adresse des paroles caressantes aux battants et à la cruelle servante,
ôte les roses qui sont sur ta tête et pose-les sur le seuil.
Lorsqu'elle te voudra, tu viendras; lorsqu'elle t'évitra, tu t'en iras;
un homme bien élevé ne doit pas être importun.
Voudrais-tu forcer ton amie à dire:
"Il n'y a donc pas moyen de s'en défaire!"
Ses sentiments ne te seront pas toujours contraires.
Et n'aie pas honte de supporter les injures de ton amie, ses coups,
et d'aller jusqu'à baiser ses pieds délicats.
Quelle conduite à tenir envers un rival:
Souffre avec patience un rival; la victoire sera de ton côté.
Ton amie fera quelque signe à un rival, supporte-le.
Elle lui écrira: ne touche pas aux lettres.
Qu'elle vienne d'où elle voudra; qu'elle aille où il lui plaira.
Cette complaisance, des maris la témoignent à leur épouse légitime,
lorsque, toi aussi, bon Sommeil, tu vienx jouer ton rôle.
En cet art, je l'avoue, je ne suis pas versé.
Plus habile est l'amant qui présente lui-même les autres.
Le mieux est de tout ignorer.
Laisse-la cacher ses infidélités et ne la force pas à composer son visage
pour échapper à la rougeur de l'aveu.
Raison de plus, jeunes gens, pour éviter de surprendre vos maîtresses.
Qu'elles vous trompent, et qu'en vous trompant elles pensent vous en avoir donné à garder!
C'est croître l'amour de deux amants, que de les surprendre;
dès que leur sort est commun, ils persistent l'un et l'autre dans ce qui causa leur perte.
Ne disposez pas de filet autour d'un rival et n'interceptez pas des lettres écrites secrètement.
Laissez-les prendre, s'ils jugent seulement à propos de les prendre,
laissez-les prendre aux hommes dont l'eau et le feu feront des maris au sens légal.
Je le proclame pour la seconde fois.
On ne badine pas ici sur ce que la loi défend.
A nos jeux n'est mêlée aucune robe de matronne.
Sois absolument discret en amour:
Ce qu'il faut pour nos rendez-vous, c'est une chambre bien close,
et généralement nous couvrons d'un voile ce qu'il est indécent de montrer,
et nous recherchons, sinon les ténèbres, du moins une demi-obscurité
et quelque chose de moins éclatant que le grand jour.
Aujourd'hui, nous affichons nos conquètes.
Pour le seul plaisir de parler.
Aussi bien en tous lieux on détaille les charmes de toutes les femmes, pour dire au premier venu:
"Celle-là aussi, je l'ai eue",
pour en avoir toujours une à montrer du doigt, pour que toutes celles
que tu auras touchées deviennent le sujet de conversations légères.
Il y a plus encore: certains inventent des aventures qu'ils désavoueraient
si elles étaient vraies, et, à les entendre, ils ont eu les faveurs de toutes les femmes.
S'il leur est impossible de prendre la personne, ils s'en prennent à son nom,
et la renommée est flétrie, bien que le corps n'ait jamais été touché.
Ferme bien la porte sur ta maîtresse, mets cent verrous à la porte solide.
Où trouver une protection sûre, puisqu'il y a des gens qui violent les réputations
et qui désirent faire croire à un bonheur qu'ils n'ont pas eu?
Pour nous, nous ne racontons qu'avec retenue nos succès, même réels;
nos larcins amoureux restent protégés par le mystère d'un silence impénétrable.
Il te faudra louer même les défauts de la femme que tu aimes:
Ne va pas surtout reprocher à une femme ses défauts physiques:
Ce que tu as du mal à supporter, il faut t'y accoutumer; tu le supporteras facilement;
l'habitude atténue bien des choses, tandis que l'amour naissant remarque tout.
La fuite des jours suffit à supprimer toutes les tares physiques,
et ce qui était une défectuosité cesse de l'être avec le temps.
Des mots peuvent pallier les défauts.
Appelons agiles les petites, et bien prises les énormes.
Bref, déguisons le défaut sous la qualité qui en est le plus voisine.
Comment te comporter vis-à-vis l'âge de ta maîtresse:
Ne t'informe pas de son âge, ni de l'événement qui l'a vue naître,
surtout si elle n'est plus dans la fleur de la jeunesse,
que sa meilleure saison soit passée et qu'elle s'arrache déjà des cheveux gris.
À cet âge, les femmes sont plus savantes au travail amoureux,
et qu'elles possèdent l'expérience, qui seule fait les artistes.
Par des soins elles compensent les outrages des ans; suivant ta fantaisie,
elles se prêteront, pour l'amour, à mille attitudes, à des poses diverses.
Chez elle le plaisir naît sans provocation artificielle;
pour qu'il soit vraiment agréable, il faut que la femme et l'homme y prennent part également.
Je hais les embrassements, où l'un et l'autre ne se donnent pas,
voilà pourquoi je trouve moins d'attraits à aimer les petits garçons.
Je hais la femme qui se livre parce qu'elle doit se livrer, et qui,
n'éprouvant rien, songe à sont tricot.
Le plaisir qu'on m'accorde par devoir ne m'est pas agréable;
je ne veux pas de devoir chez une femme.
Je veux entendre des paroles traduisant la joie qu'elle éprouve
et me demandant d'aller moins vite et de me retenir.
J'aime à voir les yeux mourants d'une maîtresse qui se pâme, et, qui,
abattue, ne veut plus, de longtemps, qu'on la touche.
Ces avantages, la nature ne les a pas accordés à la première jeunesse;
ils ne se rencontrent ordinairement que dans la fleur de l'âge.
Que les gens pressés s'abreuvent au vin nouveau; pour moi,
une amphore remplie depuis longtemps me procure un vin béni des Dieux.
Voici la pratique des choses de l'amour:
Crois-moi, il ne faut pas hâter le terme de la volupté,
mais y arriver insensiblement après des retards qui la diffèrent.
Quand tu auras trouvé l'endroit que la femme aime à sentir caressé,
la pudeur ne doit pas t'empêcher de le caresser.
Tu verras les yeux de ton amie briller d'un éclat tremblant,
comme il arrive souvent aux rayons du soleil réflétés par une eau transparente.
Puis viendront des plaintes, viendra un tendre murmure et de doux gémissements
et les paroles qui conviennent à l'amour.
Mais ne va pas, déployant plus de voiles que ton amie, la laisser en arrière,
ou lui permettre de te devancer dans ta marche.
Le but, atteignez-le en même temps; c'est le comble de la volupté, lorsque,
vaincus tous deux, femme et homme demeurent étendus sans force.
Voilà la conduite à suivre, lorsque le loisir te laisse toute liberté,
et que la crainte ne te contraint pas à hâter le larcin d'amour.
Lorsqu'il y aurait danger à tarder, il est utile d'activer ton éperon
et de le lancer à toute allure dans le volcan fumant.
Conclusion et transition au livre troisième:
Mais voici que les tendres jeunes filles me demandent des préceptes:
vous serez le premier objet dont vont s'occuper les vers suivants.