soliloques
peinture grecque
autres mémoires




Dans la série soliloques autres mémoires d'un homme de mots.

les.mains de.Mona Lisa

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IV
Serez-vous songeur si vous considérez un instant
l'avenir de la génération qui sortira de ce siècle?
Ou nous serons les poupées des imaginations de tourne-disques
qui se déhanchent à volonté et respirent hâtivement du plaisir; ou laisserons-nous à l'animal, déjà ahuri de nous voir faire les pitres, le droit à la rationalité, avec laquelle nous jouons comme des jongleurs handicapés.
J'ai pour toile de fond l'inimaginable crânerie démoniaque
des danses modernes, ces bouches ouvertes sous des yeux de nouveau-nés et l'écrasement horizontal des abdominaux.
J'ai pour scène, l'enchevêtrement des déformations pachidermiques,
l'exhalaison de cris et d'aboiements d'une génération préhistorique.
Enfin, j'ai le spectacle d'une image annihilée sous l'animalité
la plus irrationnelle et qui laisserait la brute elle-même, sous le signe de l'auto-supériorité.
Je sais gré aux Américains, ces mêmes Américains qui ont failli
à la tâche de porter au-delà de l'air respirable, la petite sphère de 20 pouces de diamètre, je leur sais gré d'avoir su déhancher notre civilisation, de l'avoir fait "crawler" au son de musiques infernales pas dignes même de l'écho d'assiettes fracassées.
Ils auront contribué à façonner un homme nouveau, et cet homme,
j'ai peur d'en imaginer la perspective...



V
J'ai roulé les dés, mon cadran marquait neuf heures.
Trois reines, un roi, un as.
Puis je suis descendu dans le soir montant,
les mains dans mes poches et traînant ma tête sur mon buste.
Pourquoi trois reines, un roi, un as?
Et je roulais les dés dans mon crâne; trois reines, un roi, un as,
et je marchais n'importe où, n'importe comment, au hasard, mais les dés, derrière mon crâne, marquaient toujours les trois reines, le roi et l'as....
J'ai senti comme une chair humaine dans ma main droite pendante,
ma montre-bracelet marquait minuit.
J'avais marché dans la nuit, et maintenant, cette chair
dans ma main droite pendante était une enfant de seize ans! Je fuyais les réverbères de lumières, j'avais ma propre fille par la main, et plus tard...je l'embrassais, cette enfant...innocente.
Je fuyais les visages de lumière.

Elle était amoureuse, et je ne faisais qu'ajouter un soir nouveau
à mon insignifiante marche vers n'importe où. Elle m'aimait, et je ne faisais qu'accepter cette chair humaine dans ma main pendante, et ce baiser passionné sur mes lèvres mécaniques.
J'acceptais les circonstances...au hasard des circonstances,
et mon crâne marquait encore les trois reines, le roi et l'as, les dés m'avaient par la gorge, ils ne me quittaient pas, mon crâne et mes images de crânes s'étaient fait un domaine.
Il y avait ces dés, et ces remords, et cette nausée qui n'avaient
qu'une face où tomber.
Ce n'était plus du hasard...dans ma chambre, sur cette table,
où il y avait toujours ce même vêtement de fillette..., les dés marquaient trois reines, un roi, un as!



VI
Je n'ai pas profité de ce clair de lune.
Je n'aurais pu, d'ailleurs.
Je suis isolé dans ce bled, et... j'ai peur.
À seize ans, une fille est bien plus perverse qu'à tout âge;
elle est toute dans ses yeux, tout est dans ses yeux, elle est... adorable.
C'est pourquoi j'ai peur.
Et je laisse filer la lune derrière un nuage.
Je ne la vois plus un moment et je ferme les yeux.
Je pense à toute autre chose.
Que je suis malheureux, parce que je ne peux pas.
Je ne suis pas libre... je vais m'en aller... je n'en peux plus...
je suis malheureux.
Mais je dessine les arbres.
La lune galope derrière un nuage.
Un nouveau clair de lune.
Et je revois ses yeux.
Je vais succomber si elle ne s'arrête pas d'être jolie,
si elle ne s'arrête pas d'être belle, si elle ne s'en va pas.

Je vais l'aimer, et ce sera fatal pour ma solitude,
dangereux pour sa jeunesse.
Qu'est-il arrivé?
Rien.
Une simple histoire.
Un clair de lune d'histoire qu'il faudra enterrer dans un rêve.
Et puis, des pages blanches, de nouvelles pages
et des histoires nouvelles; elle sera dans l'histoire, à seize ans, une tentation, et je n'y penserai même plus; mais elle continuera d'être jolie, et c'est ce que je regrette.
Je suis revenu chez moi.
Sur le trottoir, il y avait une enfant... de seize ans... une enfant
qui jouait dans la rue... comme tous les enfants... qui jouent dans la rue, sans se soucier de vieillir.
J'ai avalé ma salive, je me suis arrêté, j'ai regardé.
Je crois que j'ai continué d'exister, car je ne regarde plus les filles.
Je les imagine.



VII
Je vais allumer.
Il fait noir dans ma chambre.
Ces mots, écrits dans un bled, au bout du monde, chez les anglais,
et rien que ma solitude...
C'est un interrupteur électrique.
Et pourquoi pas?
j'ai du allumer, il m'a fallu appuyer sur l'interrupteur!
Comme je suis seul! Et comment il faut penser lorsqu'on est seul!
Pourquoi?
Je n'en sais rien, moi.
J'ai une envie folle de m'étendre. M'étendre nu sur mon lit.
Mais il y a ce verre de bière sur ma table à côté de mon lit.
Un verre de bière où il n'y a plus de bière, mais des mégots
et des bouts de papier.
Comme c'est vide un verre, et comme c'est froid, et comme c'est
ennuyeux! C'est ennuyeux comme cette chambre, et vide comme cette chambre et silencieux.
C'est froid et c'est sans conscience, une femme nue qui dort
le long d'un mur inaccessible.



VIII
J'ai dû me déshabiller en vitesse.
Je ne me souviens plus.
Je suis étendu sur mon lit et je me sens ici.
C'est bizarre tout de même, être ici... ici... maudit que c'est
marrant, comme s'il n'y avait pas mille autres endroits.
Je suis seul.
j'ai du glisser mes doigts sur mon ventre, je tressaille
et j'ai des idées folles qui me viennent soudain.
Puis soudain, j'éjacule.
Et mes idées s'envolent, les images que j'avais derrière mes yeux,
et je ne suis plus tendu, mais mon coeur bat très vite.
Puis, j'ai des regrets, des regrets inutiles.
Mais je suis encore ici, et je pense à ma mère. C'est fou de
toujours placer sa mère dans ces situations-là, vos doigts qui sont encore humides.
On ne devrait pas avoir des idées, on n'existerait plus, ce serait
une création réussie...
Je ne veux pas croire qu'il me faut dormir déjà. Mais il fait noir,
et j'entends le tic-tac du cadran.
Mais je n'ai pas vu ce jour. Ce n'est pas qu'il fût agréable,
il fût ennuyeux. Mais c'est que mes nuits, aussi, sont ennuyeuses.
Que faire?
Arrêter ce maudit tic-tac du cadran? je ne sais pas,
peut-être que ça n'arrêterait pas la nuit?
Et ce battement de mon coeur? j'ai du porter ma main sur mon coeur,
il a le même tic-tac que mon cadran.
Cette armée, cette misérable armée qui va
jusqu'à "mettre au pas" mon anatomie, avec les mécaniques humaines.
Mais j'ai la main sur mon coeur, et ce bruit me fatigue aussi; l'arrêter?
Mais ce serait peut-être ennuyeux d'être mort? Comment en sortir? je n'en sais plus rien.
Je dors et ça me suffit pour le moment.



IX
Je me suis réveillé.
Et pourquoi pas, c'est le matin.
Mon cadran s'est arrêté, à la même heure, toujours. Il semble
s'être mis au pas de mes habitudes.
Comme c'est con...
Tout semble être conçu pour des actions automatiques.
Ce son rauque que donne un tuyau sous pression, je ne l'entends pas
pour la première fois, mais je l'entends toujours à la même heure et j'en suis même venu à l'appréhender; je l'entends avant même qu'il ne s'exécute.
Il y a des bruits de convois militaires au-dehors et des cadences
de pas. Je dois être dans un camp militaire.
Comme c'est idiot.
Et moi qui ai la guerre en horreur.
Et cette couleur kaki qui me fait chier... je dois être cinglé,
je suis un militaire, je dois être idiot... mais pourquoi pas?... idiot... je suis idiot... nous sommes idiots...tout est idiot... n'en parlons plus.
La première personne à qui j'ai parlé ce matin, c'était à moi-même.
Je ne parle pas beaucoup, je suis trop seul. Et je suis tout seul
à m'entendre.
Je me parle à moi-même.
Et pourquoi je me parle à moi-même? Je pense beaucoup trop.
Tout ce que je dirais à d'autres, je l'ai derrière mon crâne, et je n'ai qu'une solution à mes problèmes, la mienne.



X
Tout ce que j'imagine n'aura donc pas subi la purge
du monde extérieur.
Tant mieux.
On embête les autres avec ses idées et l'on s'embête soi-même;
j'aime mieux ce rêve absurde que la réalité absurde.
Ce matin est dimanche.
Je ne travaille pas... voilà la différence.
Des amis vont à la messe, ils sont catholiques.
J'étais catholique, maintenant... je ne sais plus.
La religion m'a beaucoup trop influencé, j'en ai perdu la mémoire.
Maintenant, je suis somnambule, mais la religion ne m'influence plus.
Elle m'emmerde.
Et c'est toute la différence.



XI

J'ai bu, enfin j'ai du boire.
Je me sens tout inconnu à moi-même, je ne sais pas, il me semble
que j'existe, enfin!
Je vois toutes sortes de choses, des choses réelles qui n'ont pas
le temps de se coller à mes yeux, des choses qui existent.
Quand je n'ai pas bu, je m'en souviens, je m'accroche aux choses,
aux objets, aux idées, ou plutôt ce sont elles qui se collent à moi et qui m'interrogent, me scrutent et me morfondent.
Je ne suis plus réellement avec des idées qui n'ont pas de solution,
je suis la proie des idées, et des choses.
Je crois qu'il faudrait être constamment comme je me sens
présentement: un inconnu, ou une chose vis-à-vis les choses elles-mêmes.
Il me semble que lorsque c'est moi qui mène les idées,
il n'y a plus de solutions, je suis perdu, je proteste, je ne concède jamais, mais je combats; mais maintenant, je me sens mené comme un foetus, je virevolte par-ci par-là, incohérent, et je n'ai pas de soucis!
Les idées me mènent.
Je suis....



XII
J'ai du tomber de sommeil.
Et maintenant, c'est un mauvais rêve qui me remet à la réalité.
Mais quelle réalité!...
Je ne sais pas pourquoi, mais je me regarde dans la glace.
Comme je suis bizarre!
J'ai beau reculer, m'approcher, me frotter à la glace,
sur tous les angles, je ne vois rien d'intéressant, j'ai raison de faire peur aux petites filles... avec une tête comme la mienne, qui n'aurait pas peur?...
Enfin, j'ai beau m'analyser, je ne me comprends pas plus,
et ce que je découvre ne fait qu'ajouter à mon néant.
Il n'y a que mes yeux, mes yeux... j'ai du cacher tout le reste
de mon visage pour découvrir que j'avais des yeux, et qu'ils ne faisaient pas horreur, mais j'ai du aussi découvrir qu'ils ne se devaient pas appartenir au reste de mon visage... à quelqu'un d'autre... seuls, isolés, ils ne me font pas honte.
Et puis, j'ai du tomber le visage sur la glace, c'était froid, c'était glacé.
J'ai presque pleuré, et lorsque je me fais presque pleurer,
c'est dire que je pleurerais bien... si je savais encore pleurer. Pourquoi? ce n'est pas une suite à mes découvertes, ce n'est pas la peine que j'éprouve à me sentir ce déchet!
C'est justement ce déchet que je ne suis pas... qui me rend triste.
Je trouve plutôt cela inutile d'être devant cette glace,
inutile d'avoir des yeux, une bouche, un nez, et tout!... si je pouvais briser ma glace...



XIII
J'ai fait semblant d'être heureux?
Sans doute.
Il est trois heures dans la nuit, je ne ressens plus aucune joie,
et je suis redevenu insensible.
Le "party" est fini.
Je retourne dans mon lit, porter ces choses déjà vieilles, au creux
d'un rêve impossible.
Puis j'ai du me faire des ennemis.
Et je m'en fous! je n'aime pas, sans doute, me faire des ennemis,
mais j'aime cette femme belle et désirable, la conquérir un peu...bien que mariée, et la laisser ensuite... elle aussi, j'espère, au creux d'un rêve impossible, dans la nuit d'un lit marital.
Quelle aventure!
Mickey m'a déclaré, qu'elle m'aimait... j'ai du le faire aussi.
Et nous ne nous sommes presque pas quittés, juste assez
pour éviter ces quelques regards embarrassés du mari... et les expressions puritaines des autres invités.
Serai-je noyé dans ce rêve impossible au tréfonds du Lac Érié,
demain sur ce sinistre bateau de pêche entre hommes, entre soldats, entre rivaux et ce mari jaloux?


Marco Polo ou le voyage imaginaire (Mémoires d'un homme de maux, 1956) © 1996 Jean-Pierre Lapointe

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