Son visage était là , incrusté à la pierre. Elle ne bougeait plus. Sa bouche s'ouvrait large sur ses dents blanches comme l'ivoire. Elle ne bougeait plus. Ses yeux me fixaient de ses gros globes étincelants, extasiés. Elle ne bougerait plus, son crâne s'était aplati sur la pierre. Déjà, des liquides cervicaux s'échappaient des frisettes qui ornaient son crâne.
Elle avait percuté la pierre, elle s'était éteinte au moment de l'extase et semblait encore jouir de ce dernier moment.
J'essayai de m'extirper de son emprise. Elle était agrippée à moi comme pour me retenir dans son rêve.
Elle me regardait.... droit dans les yeux et elle profitait des derniers moments de mon éjaculation, mon sexe obstruait toujours son orifice vaginal. Elle semblait jouir encore. Mais tout s'était arrêté, les contorsions acrobatiques, les borgorismes gutturaux, les spasmes de son corps, elle était immobile. Je dénouais avec peine le haut de mon corps des entraves de ses bras. Je me relevai, j'avais le corps endolori par la chute, ses jambes étaient toujours enroulées à mes jambes, rigides. Son vagin commençait à se resserrer sur mon sexe toujours enfoui dans son ventre.
Je le retirai avec une telle peine que j'entendis s'échapper par l'ouverture, un murmure étonnant, une plainte quasi intelligible, le seul son de ces moments de ....... transes sexuelles.
Sur le haut du talus, je voyais de manière diffuse, l'alignement des hommes ahuris devant le spectacle , ils ne bougeaient pas. Je n'avais ni le temps ni la volonté d'analyser la situation, je remontai le talus, faisant fi des hommes menaçants qui m'attendaient en haut du talus.
L'ascension me parut longue. Je voyais grossir les visages dont les contours s'effritaient presque sous l'effet de contre-jour, ils se mariaient au paysage. Je piétinais les obstacles avec détermination, les pierres, les ronces, les détritus qui nous avaient accompagnés tout le long de notre lente descente et avaient laissés de multiples meurtrissures sur mon corps, une blessure mortelle sur son corps, son corps de petite fille primitive.
J'arrivais enfin en haut du talus, je touchais presque les pieds des bagnards et des soldats qui formaient la ligne de démarcation entre le talus et la route. J'appréhendais la réception mais une certaine force me poussait à continuer, je traversai la ligne avec détermination, sans hésitation et me dirigeai vers mon auto campeur.
J'étais maintenant prêt à tout, et sans hésitation, j'entrai dans l'auto, mis le moteur en marche et démarrai le véhicule. Les hommes restaient là ébahis, comme impuissants à toute action, ils me regardaient sans un geste, figés dans une sorte de sommeil extatique.
Nous roulions à tombeau ouvert, ressentant toutes les anfractuosités de la route. Nous traversions villes et villages, sans un mot, violant les barricades ou payant les pourboires sans palabrer dans l'espoir de sortir du pays comme de l'enfer. Nous avions atteint la Côte d'Ivoire dans la nuit avancée juste avant la fermeture définitive de la frontière.
Et depuis,
je revois souvent ce visage d'impétueuse ghanéenne, figé dans l'extase par l'ultime geste de l'amour et ce persistant remord de n'être pas mort dans ses bras. Je revois aussi ces hommes, ces hommes impuissants, pétrifiés par le sacrilège fatal de l'inpétueuse ghanéenne et leur lâcheté à me laisser vivre.
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes et légendes, novembre 1996) © 1996 Jean-Pierre Lapointe
(hommage à Leni Riefenstahl et le peuple de Kau)
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