Les mouvements de la jeune maiko s'arrêtent. Elle dépose le chawan sur le tatami et y déverse un peu d'eau chaude.
L'odeur du thé emplit mes narines. Les sons saccadés du koto s'infiltrent dans
mes pores et font frissonner mon corps de spasmes erratiques. Je regarde les
chairs appétissantes de ma tendre geisha, elle a bougé légèrement, ses yeux se
sont relevés. Mon sexe se gonfle. La pression de la chair chaude de la
jeune maiko s'intensifie, les pointes de ses oppai minuscules s'incrustent plus profondément dans mes chairs.
Les mains de ma kan-geiko ont franchi la frontière du tatami. Elles s'installent et
restent là, immobiles un moment, sur mes genoux. Puis elles glissent lentement
jusqu'à mon tronc et s'y appuient légèrement, faisant basculer mon corps dans le
vide, je viens m'affaler doucement sur le corps de la jeune et gracile maiko
stratégiquement déployé sur le tatami. Je sens parfaitement la structure de ce
corps trop fragile s'encastrer dans mon dos, ses petits seins rigides transpercer mes omoplates, mes fesses viennent
reposer avec impudence dans l'étroite et chaude vallée formée par la fissure
qui marque la rencontre de ses jambes fluettes, celles-ci se sont volontairement
déployées et encerclent maintenant mes jambes en une étreinte énergique.
Pendant ce temps, ma kan-geiko s'est elle aussi discrètement glissée sur mon
ventre; elle s'y incruste habilement, déployant ses membres autour de mon
corps, rejoignant les membres de la jeune maiko pour former ainsi une
enveloppe compacte et inexpugnable, comme un yoni, à l'intérieur duquel mon corps
tout entier se métamorphose en un impudent lingham.
Mon corps s'agite. Les chairs chaudes qui m'enrobent se resserrent, s'échauffent
et s'agitent au rythme des palpitations de mon corps. Le sang court dans mes
veines qui se gonflent jusqu'au paroxysme, frisant l'éclatement.
Puis l'étau se desserre. Les membres se déploient, le corps de ma kan-gaiko
glisse doucement vers le bas, le long de mon ventre, ses lèvres chaudes lèchent
au passage mes chairs grisées par une tension extrême. Elle s'installe là, près de
mon sexe en ébullition qu'elle enserre de ses doigts, elle attend ainsi inerte le bibin kuru,
l'érection du volcan.
L'odeur du thé remplit mes narines. Les plaintes du koto martèlent mes sens.
La jeune maiko-san est agenouillée tout près, portant de ses deux mains le chawan aux magnifiques textures de raku. Elle appuie ses coudes sur ses genoux, fait une longue révérence et elle s'immobilise jusqu'à ce que ma
kan-geiko perçoive sa présence à ses côtés. Ma kan-geiko se relève et accepte le
chawan des mains de la jeune maiko. Elle soulève le chawan de ses deux mains,
le retourne vers moi pour me montrer le dessin floral qui en garnit la paroi
principale, elle fait une longue révérence. Elle soulève lentement le chawan en le fixant des yeux et elle ingurgite le chaud liquide d'une
seule rasade.
Elle est là, immobile devant moi, ses yeux fixent mon pénis au bord de
l'éclatement, la bouche encore pleine du chaud liquide, elle se penche sur moi et elle engouffre doucement mon pénis entre ses lèvres hermétiquement closes.
Je sens ses lèvres glisser le long de mon sexe, en exerçant une forte pression, ses lèvres
écartent au passage mon prépus; elle appuie plus fortement sur sa mâchoire égratignant mes
chairs fragiles de ses dents aiguisées, mon sexe se gonfle de sang, il est au bord de
l'éclatement, il plonge dans le brûlant usucha , pénètre plus profondément, pour
atteindre l'étroit couloir du shokudo et s'y maintenir un instant; puis elle resserre et desserre l'étreinte, jusqu'à l'expulsion de mon visqueux sperme dans le liquide encore tout chaud, qui gonfle la gorge de ma kan-geiko, chaud élixir qu'elle ingurgite avec passion.
C'est ainsi que j'ai atteint le wao-kei-sei-jaku, la suprême harmonie, je me suis endormi, j'étais satisfait.
j'ai du rêver. Les sons de la ville me tirent de mon sommeil: des klaxons, des
crissements de pneus, le bourdonnement de la ville au loin, des cris d'enfants,
des feulements sinistres d'animaux, des sons domestiques, des bruits de
chaudrons, des tintements de clochettes, des éclats de voix, des rires saccadés de femmes
hystériques, des froissements de papier, le gong mystérieux d'un temple
shintoïste, j'ai du rêver, je me réveille enfin.
Le décors est le même. Je n'ai pas changé de lieu: des parois translucides d'où perce déjà la lumière du jour, des nattes en tatami, un inconfortable takamakura, un oreiller de bois laqué, qui m'a laissé au cou un douloureux torticolis. Je ne suis pas seul; je me souviens de l'intense plaisir de mes sens, cette incomparable nuit d'amour, le voluptueux contact de cette femme charnelle, énigmatique déesse aux baisers sulfureux, intriguante bête aux doigts tentaculaires, un corps élastique d'une étonnante lascivité, femme tentatrice allongée nue sur le foko-no-wa et qui m'accompagne dans mon réveil, là tout près, le mannequin inanimé, le squelette dépouillé de ses chairs, le corps décomposé de la geisha, d'avoir ainsi traversé le temps.
Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus!
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang
Tremblaient confusément des débris de squelette,
Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.
(Baudelaire)
Je traverse éperdu la paroi de papier de riz, je m'engouffre dans la vaste salle de
réception, affolé; les invités et les geishas sont toujours là, indifférents à mon
désarroi. Des hommes élégants portant l'attaché-case de l'homme d'affaires
japonais ou du japonais affairé, s'apprêtent à quitter l'établissement sous
l'attention soutenue des geishas.
Je suis comme projeté hors de la maison. Mes sens perçoivent le bruit, maintenant
évident, de la ville qui se réveille de sa torpeur nocturne. Les objets me sont
familiers, les sons, les gens qui courent dans tous les sens à travers le vaste
espace de stationnement, les cars bondés de touristes face au
seki, le portail qui donne accès au château. La maison est là, derrière moi, silencieuse et hors du temps.
Je réintègre à pas pressés mon auto-campeur immobile au fond du parking, le
palanquin à mystérieusement disparu, les êtres, les sons, les plaintes, les ombres
d'un autre temps, remplacés par les murmures familiers de la ville, les
inévitables petits monstres, ces garçons aux vêtements stéréotypés, la petite casquette sans rebord, le sac à dos des écoliers et les joshi kousei aux cuisses appétissantes, vêtues d'outrageants fujinfuku au large col dessiné de motifs marins, de longues chaussettes blanches aux laines épaisses lâchement enroulées aux chevilles, fillettes rieuses, espiègles, aventurières. Je démarre sous les quolibets et les rires sans pudeur de ces écoliers et écolières intrigués par la soudaineté de l'apparition de ce gaïjin éperdu, comme d'un voyageur égaré hors du temps.
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes et légendes asiatiques, décembre 1998) © 1998 Jean-Pierre Lapointe
(En hommage à Hiroshige, Hokusai, Utamaro, aux geishas et au Japon)
Envoyez une
Carte Postale