Le tombeau de la jolie cousine
Acte II d'un conte érotique de l'adolescence
Nous avions succombé cette fois, allez savoir pourquoi. Quelques fois ainsi, nous
descendions au niveau des filles acceptant de jouer avec elles, de jouer leurs
jeux; des moments circonstanciels, des situations inexplicables; comment savoir
pourquoi? Lorsque les filles se retrouvaient dans la nature, ayant délaissé leurs
poupées ou la jupe de leurs mères, comme si elles s'étaient concertées pour se
retrouver là ensembles, comme un petit troupeau de biches sans défense, épiant
nos ébats sans vraiment les investir comme des spectatrices qu'on ne manquait
pas d'éblouir de nos bravades.
Il nous arrivait de participer aux jeux des filles, mais rarement en groupe; nous
n'en parlions pas entre nous comme si cela pouvait être perçu comme une
faiblesse de notre part. Dans les jeux des filles nous n'étions que des figurants,
on découvrait avec un certain malaise leur propension à gérer l'inutile.
C'est ainsi que j'avais joué déjà le rôle du malade impuissant auprès des filles du
docteur Letendre. Elles étaient pédantes, snob, comme l'étaient les fils et les filles
des professionnels du village. Ils formaient une classe à part, un monde séparé
de notre monde qui ne se rencontrait qu'à l'Église ou lors d'événements fortuits.
Cette rencontre avait été fortuite et accidentelle; j'allais rouler la surface en terre
du jeu de tennis, en échange de la permission d'y lancer quelques balles; ce jour-
là, je m'étais laissé entraîner, par la plus âgée des soeurs Letendre, à ce jeu jusque
là inconnu de moi. J'avais accepté, me croyant à l'abri de l'effet désastreux sur
mes copains de jeux, d'avoir participé à quelques jeux puérils avec des filles, et
particulièrement avec les soeurs Letendre, que l'on disait emmerdeuses et
pédantes.
J'escaladais laborieusement les parois sombres du cercueil qui reposait sur le
plancher instable du hangar. Jocelyne était déjà là, inerte, tétanisée par la peur.
Lorsque j'étais passé par là, elle était assise sur les planches de bois se croyant
invisible, j'avais eu peine à la convaincre de s'étaler à l'intérieur du cercueil à
l'abri parmi les rembourrages de satin blanc. Jocelyne, petite cousine d'à peine
mon âge, jusque là anonyme petite poupée qui avait peine à suivre la cadence,
les jeux, les fêtes, les rendez-vous; elle se tenait toujours à l'écart, passive,
invisible petite soubrette qui avait momentanément délaissé sa solitude et sa
poupée pour nous suivre dans ce jeu de groupe.
J'avais renoncé à refermer sur elle le couvercle du cercueil, tétanisée qu'elle était
par la peur, elle m'avait suppliée de la rejoindre dans l'étroit cercueil.
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Contes et légendes érotiques, février 1999) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
L'espace était restreint, elle se blottissait tout au fond du cercueil, son corps se
perdant dans les rembourrages de satin blanc, ne laissant apparaître que des
bribes de ce frêle corps de fillette à peine sorti de l'enfance; son visage inquiet,
ses mains étalées contre ses flancs, ses jambes nues sous sa jupette relevée jusqu'à
la naissance de ses cuisses, laissait apparaître la forme d'une limpide blancheur
d'un délicat slip agrémenté de dentelle. Elle avait l'air d'une petite poupée sans
défense.
- "j'ai peur", avait-elle dit.
Je m'étais glissé à ses côtés avec douceur, essayant tant bien que mal de ne pas
l'écraser sous mon poids de jeune garçon presque adolescent, elle si fragile. Je ne
pouvais faire autrement qu'appuyer mon corps sur le sien l'enfouissant encore
plus profondément dans les rembourrages soyeux de satin blanc. Puis, j'avais
refermé le couvercle du cercueil ne laissant qu'une mince ouverture qui laissait
filtrer une faible lumière.
Le silence était total, seul le craquement sinistre de quelques planches venait
troubler ce calme inquiétant. Elle ne bougeait pas. Sa petite poitrine se soulevait
régulièrement sous l'effet d'une tension excessive; elle haletait me regardant de
ses yeux sombres cherchant dans mon regard un signe sécurisant, comme celui
d'un père protecteur, d'une mère attentive. J'étais inconfortable, je m'étais
appuyé sur elle, j'avais la sensation de l'écraser sous mon poids, nous étions tête
contre tête, je pouvais sentir sur mon visage le souffle léger de son haleine. Nous
ne bougions plus mais nous nous regardions attendant quelque chose, l'irruption
du pion dans notre repère, des voix qui parfois se faisaient entendre au loin, qui
s'effaçaient soudainement et nous replongeaient dans le silence des lieux et
l'inconfort de notre sinistre cachette.
Ma joue s'était appuyée contre sa joue. Ce n'était pas un geste délibéré. J'avais
enroulé mes bras autour de son corps pour prendre une position plus
confortable. Je la sentais frêle sous mon corps, vulnérable comme une petite
proie prise au piège; comme ces lièvres agiles soudainement devenus
impuissants, les pattes prises aux collets que nous tendions dans les sous-bois
qui entourent le village, ils nous regardaient suppliants attendant un geste de
compassion, devant une mort assurée.
Ma bouche s'était appuyée à sa joue, délicatement pour rien sans doute, ou pour
la calmer; un geste de tendresse, inhabituel, une façon de calmer son anxiété ou
sous l'effet d'une trop grande promiscuité, je ne saurais l'expliquer, je l'avais
embrassée timidement. Elle s'était laissé faire, était-ce sous l'effet de la peur, elle
s'était laissé embrasser par méprise peut-être, ne sachant expliquer ce geste, elle
s'était laissé embrasser sur la joue sans broncher; puis mes lèvres s'étaient
promenées de façon malhabile sur son visage, sur ses paupières, le long de son
nez puis s'étaient arrêtées sur ses lèvres entrouvertes.
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