Chant XIII du Paradis
image Aspiri

Comment crois-tu que la vierge devint enceinte?
Ils seront tels au Jugement Dernier.


Imagini, chi bene intender cupe quel ch'i' or vidi - e ritegna l'image, mentre ch'io dico, come ferma rupe -, quindici stelle che 'n diverse plage lo ciel avvivan di tanto sereno che soperchia de l'aere ogne compage; imagini quel carro a cu' il seno basta del nostro cielo e notte e giorno, sì ch'al volger del temo non vien meno; imagini la bocca di quel corno che si comincia in punta de lo stelo a cui la prima rota va dintorno,


RETOUR À LA PORTE DU PARADIS


Imagine lecteur, si tu veux bien comprendre ce qu'alors je vis, et, pendant que je parle, retiens cette image comme une évidence. Quinze étoiles resplendissaient, en diverses régions du ciel, en une clarté telle qu'elles éclipsaient la densité de l'air; imagine un Chariot qui s'anime jour et nuit dans le champ du ciel, de sorte qu'il ne disparaît même quand il est au repos; imagine aussi, la beauté de ces corps qui naissent à la pointe d'un axe, autour duquel tourne la première étoile, et que toutes ces étoiles aient libéré des fils dans le ciel, tels que fit la fille de Minos, lorsqu'elle sentit la mort venir, et que les rayons de l'un se plaçant sur ceux de l'autre, ils tournent ensemble mais en sens contraire, et tu verras tout au plus un soupçon de la véritable constellation, et de la double danse qui tournait autour du point où j'étais; elle dépassait autant ce que nous voyons ordinairement, que l'escapade de ton imagination est dépassée par le mouvement du ciel le plus rapide. Là, on ne priait pas Bacchus, mais trois Divinités féminines, dont la danse et le chant étaient gracieux, et ces saintes lumières se tournèrent vers nous, se réjouissant déjà de nous parler. Puis, le silence de ces déesses fut rompu par la lumière, qui m'avait raconté la vie admirable du saint petit frère André, le petit pauvre de Dieu; elle me dit: "Quand j'eus terminé mes travaux célestes, un doux Amour m'invita à en accomplir un autre. Tu crois qu'en la poitrine de Celui, d'où fut tirée la côte d'Adam, et qui forma le beau visage d'Ève, dont la curiosité te coûte aujourd'hui si cher; et cette Autre poitrine qui fut percée de la lance, et qui accomplit ainsi la rédemption des péchés des hommes; toute la lumière contenue dans la nature humaine fut infusée par cette Puissance, qui fit l'une et l'autre, et par suite tu t'étonnes de ce que j'ai dit précédemment, quand je déclarai que la Lumière Bienheureuse, qui brille dans la cinquième lumière, ne fut égalée par aucune autre vierge. Écoute bien mon propos et tu verras ce que tu crois et ce que je dis s'accorder dans la vérité, comme deux et deux font quatre. Tous les êtres créés sont la splendeur du Verbe qu'engendra la Mère, par la semence de l'Amour qui forma entre eux la Trinité. La perfection de cette Trinité se reflète comme un miroir, dans les neuf choeurs des anges, puis elle descend de là en s'affaiblissant jusqu'à ne plus créer que des substances inférieures et corruptibles. La matière qui compose les substances et leur forme, ne sont pas toujours identiques: c'est pourquoi la matière brille plus ou moins selon la perfection des formes qu'elle reçoit. C'est ainsi que deux arbres de mêmes espèces produiront des fruits plus ou moins bons. Il en est aussi ainsi des hommes et de leur intelligence, qui naissent avec des génies différents. La nature n'est jamais parfaite, elle agit selon que l'artiste, en possession de son art, a la main sure ou qu'elle tremble devant la beauté du modèle. Pourtant il arrive, quelque fois, que l'Esprit-Saint, par l'Amour du Verbe et de la Mère, imprime dans la créature l'Idée de la pureté, de la Vertu première; l'être ainsi créé atteint toute sa perfection. C'est ainsi que fut jadis créée la terre, digne de toute la perfection en la chair d'Adam, et c'est d'Adam que fut créée toute la beauté cruelle d'Ève, qui fit trembler ton membre. Comment crois-tu que la Vierge devint enceinte? C'est aussi cela qui fit que la Vierge enfenta Jésus-Christ; en sorte que j'approuve ton opinion, que jamais la nature ne fut ni ne sera ce qu'elle a été, en ces deux personnes. Or, si je m'arrêtais ici, tu pourrais me dire: "Comment donc cette bienheureuse n'a-t-elle pas eu d'égale?" Mais pour qu'apparaisse bien ce qui n'apparaît pas, considère ce qu'elle était et la cause qui la porta à demander, losqu'il lui a été dit: "Demande-le-moi et je serai à toi!" Je n'ai rien dit qui puisse t'empêcher de bien me comprendre, que celui-ci était un homme libre, et qu'il développa sa raison pour être à la hauteur de sa liberté, et non pas pour connaître la géographie du Ciel, ou pour savoir si, de ce qui lui est nécessaire et contingent, il puisse jamais déduire que le nécessaire, ou s'il convient d'admettre qu'il existe un Moteur Premier qui le dirige, ou si l'on peut dire qu'il sache de lui-même que deux et deux font quatre. Donc, si tu réunis ce que j'ai dit et ce que j'ajoute, la raison est la science inégalable, dans l'homme libre, où va frapper le trait de mon intention; et si tu regardes avec clairvoyance le propos "il est au-dessus des hommes", tu verras qu'ils se rapportaient seulement aux humains, qui sont nombreux, alors que les hommes libres sont rares. Prends donc mes paroles avec cette distinction, et ainsi elles peuvent être d'accord avec ce que tu crois du Créateur, et de notre Vierge Bien-aimée. Et que cela soit pour toi, un fardeau lourd à porter, afin de marcher lentement, comme un homme fatigué, vers le oui et le non que tu ne vois pas; car celui-là est le plus sot parmi les sots, qui affirme ou nie sans faire de distinction, dans l'un tout autant que dans l'autre cas, ce pourquoi il advient que l'opinion hâtive fait souvent fausse route, et que la passion arrête ensuite l'entendement. C'est bien inutilement que de quitter le rivage pour inventer la vérité, si tu ne connais point l'art de la nage, car on ne revient point d'un tel périple tel qu'on a quitté, et j'ai des preuves bien claires de ce que je dis, car tant de philosophes et combien d'autres, qui allaient ainsi sans savoir où, ainsi que théologiens, prédicateurs et missionnaires et ces sots qui furent à la Liberté comme des épées qui déformèrent la Vérité. Il ne faut montrer aucune assurance lorsque l'on juge des choses, comme celui qui estime sa fortune avant qu'elle ne soit; car j'ai bien vu au bout des déserts sans limites, des oasis dispenser l'eau, la fraîcheur et l'amour; et j'ai vu le mâle fier et beau au début, dépuceler les vierges par tout chemin, et vieillir seul sans avoir jamais trouvé la femme au bout du chemin. Que devins, devineresses, vedettes et beaux parleurs ne croient point, pour avoir vu l'un compatissant et l'autre indifférent, les voir, ainsi, tels qu'ils seront au Jugement Dernier; car celui-là peut être vrai et l'autre factice, l'un pécher et l'autre point."



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: musique New Age (Muaj9c0f), empruntée aux Archives du Web.
Important Notice: any photos or fragments of photos subject to copyright will be removed on notice.


CHANT XIV DU PARADIS