Chant X du Paradis
L'heure où l'amante de Dieu chante les matines.
Là où la joie d'aimer devient éternelle.
«Poscia che Costantin l'aquila volse contr'al corso del ciel, ch'ella seguio dietro a l'antico che Lavina tolse,. cento e cent'anni e più l'uccel di Dio ne lo stremo d'Europa si ritenne, vicino a' monti de' quai prima uscìo;. e sotto l'ombra de le sacre penne governò 'l mondo lì di mano in mano, e, sì cangiando, in su la mia pervenne. Cesare fui e son Iustiniano, che, per voler del primo amor ch'i' sento, d'entro le leggi trassi il troppo e 'l vano.
Le Créateur fit tout ce qui se meut dans le monde spirituel et matériel avec un ordre tel, que nul ne peut le contempler sans louer sa vertu. Je te prie lecteur, de lever tes regards vers les hautes sphères, et contemple ainsi l'art de ce Maître qui fit se mouvoir le monde. Tu vois comment se déplacent et s'alignent, de façon à supporter la vie sur terre, ces corps célestes, et comment le monde a besoin de leur influence, et que le moindre écart du chemin tracé, si minime soit-il, détruirait l'ordre de l'univers! Maintenant lecteur, si ton désir est d'en connaître plus encore, ne quitte point cette lecture et réfléchis à ce dont je ne t'ai donné qu'un avant-goût. Alors, gave-toi de cette nourriture, car,le sujet de mon propos réclame tous mes soins. Le soleil, qui marque le ciel de sa vertu et qui mesure le temps de sa lumière, suivait son cours comme à chaque jour, et moi j'étais en lui, comme survient la pensée, sans réaliser que j'étais monté là aussi vite. Jeanne par son sourire, me conduisait ainsi de vérité en vérité, jusqu'à la Vérité suprême. Les esprits qui étaient dans le soleil où j'entrais, étaient si lumineux que leur éclat éclipsait leur propre couleur. Je ne m'étonne point que l'imagination ne puisse aller si loin, et j'ai beau appeler à mon aide l'esprit, l'art et l'habitude, je ne réussissais pas à le faire imaginer, mais tu peux m'en croire et désirer le voir, car il n'est pas d'yeux qui voient clarté plus vive que celle du soleil. Telle est la grande famille du Père du très haut, et comment est engendré le Fils, et comment du Père et du Fils procède le Saint-Esprit. Jeanne me parla ainsi: "Remercie, remercie le Soleil des anges, qui par sa grâce t'a fait monter à ce soleil sensible." Jamais coeur d'un mortel ne fut si disposé à la dévotion, ni si prompt à se donner à Dieu de tout son gré, que je ne le devins à ces paroles; et tout mon amour se porta si ardemment en Lui, que j'en oubliai la présence de Jeanne. Cela ne lui déplut point, mais elle en sourit avec une telle splendeur de ses yeux souriants, que mon esprit absorbé en cette chose se dissipa à nouveau. Je vis de nombreux feux étincelants et triomphants du soleil, former une couronne dont nous étions le centre, leur voix était plus douce que brillant leur éclat. Ainsi voit-on une ceinture entourer la fille de la Lune, quand l'air est si plein de vapeurs qu'il retient le fil qui la forme. Dans la cour du ciel dont je reviens, il y a beaucoup de joyaux si précieux et si beaux, que je ne saurais les décrire avec des mots qui leur rendent justice; ainsi était le chant de ces flambeaux, que ne connaîtront jamais ceux à qui le Ciel leur sera refusé. Quand ces ardentes lumières, en chantant ainsi, eurent trois fois tourné autour de nous, comme des étoiles voisines des pôles fixes, elles m'apparurent comme des dames qui ne quittent pas la danse, mais qui s'arrêtent silencieuses, jusqu'à ce qu'elles aient entendu les notes nouvelles, et, dans l'une d'elles, j'entendis ce chant: "Alors que le rayon de la grâce, où s'allume le véritable amour et qui ensuite croît avec l'amour, resplendit tant multiplié en toi, qu'il te conduit en haut par cette échelle; qui refuserait à ta soif le vin de sa gourde, ne serait pas plus libre qu'une eau qui ne pourrait descendre jusqu'à la mer. Tu veux donc voir toutes ces fleurs qui composent la guirlande, et qui entoure, et qui contemple la Belle Dame, celle qui te donna la force de monter au ciel?" Alors je vis chacune des formes lumineuses prendre des formes humaines, et devenir si familières que je ne pouvais me fixer sur l'une plutôt qu'une autre, et que j'allais de l'une à l'autre sans me fixer, mais sentant mon coeur rempli d'excitation. "Je fus du saint troupeau que Dionysos conduisit par un chemin où l'on s'enivre bien si l'on ne s'égare point. Celle-ci, la plus proche à ma droite, fut ma soeur et ma maîtresse; elle fut la reine des Ménades, qui s'enivrent de ton sang et de ta semence pendant que tu respires encore. Si tu veux de même connaître toutes les autres, suis mes paroles en faisant, du regard, le tour de la guirlande bienheureuse. Cette autre splendeur flamboyante jaillit du sourire d'Artémis, qui éclaira si bien les uns et les autres que cela te plairait encore en paradis. L'autre qui orne ensuite notre choeur, est Aphrodite, la vierge dorée, qui fait naître chez toi, l'amour, et met en émoi tout ton être; puis Athéna qui n'a d'autre souci que te faire la guerre, et cette autre, Artémis la chasseresse, qui te chasserait dans les bois comme une biche sans défense! La cinquième lumière, la plus belle parmi nous, brûle d'un Amour tel que, sur la Terre, le monde entier est avide d'en avoir des nouvelles, mais méfie-toi de Cythérée qui a le pouvoir de t'attirer sur sa couche et te trahir autant que te baiser. Au dedans est Dionée, dont l'esprit est si radieux, qu'il jouit d'un savoir plus profond que ton amour ne le sera jamais. Vois ensuite les vierges Vestales, ces lumières qui entretiennent le feu sacré, et comment vaincre plus qu'il ne le faut la nature et l'office de la vierge Vesta. Si de lumière en lumière, tu portes maintenant, en suivant mes louanges, le regard de ton esprit, tu dois déjà avoir soif de connaître la huitième. La vision de tout bien y ravit cette âme sainte, qui montre à qui sait bien l'entendre, que le monde est trompeur; le corps dont elle fut chassée gît ailleurs qu'en son âme, et Maïa du martyre et de l'exil, est venue en ton lit. Vois flamboyer plus loin l'ardente foi de Déméter, fille de Chronos et de Rhéa, qui dans le temple d'Éleusinies, est plus qu'une déesse, et dont les rites trouvent refuge dans les mystères de Cérès . Celle d'où ton regard revient vers moi est la lumière de ce bel esprit qui, dans ses pensées austères, trouvait que l'amour est bien cruel; c'est la lumière éternelle de Perséphone, la vierge du printemps, enlevée aux enfers par Pluton et qui t'appelle. Dans la dernière des lumières se rit de toi, Ovide, le poète des temps anciens dont l'oeuvre latine te servit si bien, à fréquenter ces lieux bénis des Déesses." Comme une horloge alors, qui nous appelle, à l'heure où l'amante de Dieu se lève pour chanter les matines en l'honneur de son Époux, afin d'obtenir son amour, et qui fait entendre un ding dong si mélodieux, que l'esprit bien disposé se gonfle d'amour, ainsi je vis se mouvoir la glorieuse roue, et répondre, voix à voix, dans une telle harmonie et une telle volupté qu'on ne peut la connaître, que là où la joie d'aimer devient éternelle.
Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: musique d'atmosphère (celtes) , empruntée aux Archives du web.
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