Chant XXXIII du Purgatoire
image Luis Rojo

Les prières de la Dame aux camélias.
Le déclin du Jardin d'Éden.


'Deus, venerunt gentes', alternando or tre or quattro dolce salmodia, le donne incominciaro, e lagrimando;

e Beatrice sospirosa e pia, quelle ascoltava sì fatta, che poco più a la croce si cambiò Maria.

Ma poi che l'altre vergini dier loco a lei di dir, levata dritta in pè, rispuose, colorata come foco:

'Modicum, et non videbitis me; et iterum sorelle mie dilette, modicum, et vos videbitis me'.


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"O Dieu!" "Odieux sont les hommes d'avoir profané ton temple et de vouloir ainsi s'arroger le métier de Dieu!" Ainsi chantèrent en pleurant les Apsaras, et Jeanne les écoutait aussi triste et défaite qu'était Marie au pied de la croix. Mais, après que ces vierges se furent tues pour la laisser parler, elle se leva et, debout, le visage enflammé, elle répondit ainsi à ses soeurs bien-aimées: "Modicum et non videbitis me; et iterum, modicum et vos videbitis me." Elle les fit aller au-devant d'elle et, d'un signe, nous signifia de la suivre, moi, la belle Dame et Dante qui était toujours là. Ainsi s'en allait-elle et, après avoir fait dix pas, elle s'arrêta, dirigea ses yeux vers moi et elle me dit: "Viens plus près, pour que si j'ai à te parler, tu sois en bonne place pour m'entendre. Je veux que tu te dépouilles de tes rêves et que tu me parles tel qu'à une femme, qui est, qui vit, qui respire et qui soupire de toi, toi Marco, qui ne le mérites guère. Prends note de mes paroles et redis-les aux mortels qui courent à leur mort en voulant modifier la vie. Décris comment tu as vu le saccage de l'arbre, la souillure dans l'atmosphère qui soutient la vie et le déclin de ce Jardin d'Éden qui les supportait. Dis-leur le destin de ceux qui croquèrent du Fruit défendu en pensant s'arroger le métier de Dieu. Mais puisque je vois que ton intelligence est endurcie et obscurcie, au point que mes paroles s'envolent, je veux aussi que tu portes, en pèlerin fidèle, les images sinon mes paroles, aux simples mortels. Si tu ne peux te souvenir de t'être éloigné de moi et que ta conscience ne t'en fait point le reproche, rappelle-toi au moins que tu viens de boire l'eau du Léthé, et que cet oubli démontre que ton désir était coupable d'avoir porté ailleurs tes sentiments. Mais désormais, mes paroles seront sans voile, autant que nécessaire pour être comprises de ton esprit grossier." Lorsque s'arrêtèrent les sept Déesses aux confins d'une ombre qui voilait la forêt, il me sembla voir devant elles, deux sources sortir d'un même fleuve, pareilles à deux amantes se séparant à regret. "O lumière et gloire du genre humain, quelle est cette eau qui coule ici d'une source unique, et qui se sépare d'elle-même?" À cette prière il me fut répondu: "Prie la Dame aux camélias qui t'a guidé jusqu'ici, elle se fera plaisir en te le disant." Et, comme pour se laver d'un reproche, la Belle Dame répliqua: "Je le lui ai dit, cela, et bien d'autres choses aussi; et je suis sûre que ce n'est pas l'eau du Léthé qui le lui a fait oublier." Et Jeanne ajouta: "Peut-être un souci plus grave a-t-il obscurci les yeux de son esprit, mais va à l'Eunoé qui coule là-bas; conduis-le à ses eaux et comme il t'est coutume de le faire, ravive sa mémoire défaillante." Et comme un noble coeur, ne cherchant point d'excuses mais de la volonté d'autrui, fait la sienne propre, ainsi après avoir pris ma main, la Dame aux camélias s'approcha de la source et s'étendit dans l'eau jusqu'à ce que l'eau s'infiltre dans les replis de son beau corps dénudé. Et, avec une gentillesse toute féminine, elle me tira vers elle en me disant: "Viens, étends-toi et goûte à cette potion qui gît là, enfouie dans les profondeurs de ma vulve." S'il me restait, lecteur, plus d'espace pour écrire, je célébrerais au moins imparfaitement, le doux breuvage dont jamais je ne me serais rassasié; de cette eau très sainte, je m'en revins régénéré, comme de jeunes plants que renouvelle un nouveau filliage, pur et prêt à monter sur d'autres étoiles et à goûter à autant d'autres nectars enfouis au plus profond des gouffres du désir.



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: Petite Suite: en bateau de Debussy, emprunté aux Classical Midi Archives.
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