Chant XIII du Purgatoire
J'aime celui qui me ferait du mal.
J'crie à God: Tiens! j' te crains pus.
Noi eravamo al sommo de la scala, dove secondamente si risega lo monte che salendo altrui dismala. Ivi così una cornice lega dintorno il poggio, come la primaia; se non che l'arco suo più tosto piega. Ombra non lì è né segno che si paia: parsi la ripa e parsi la via schietta col livido color de la petraia. «Se qui per dimandar gente s'aspetta», ragionava il poeta, «io temo forse che troppo avrà d'indugio nostra eletta».
RETOUR À LA PORTE DU PURGATOIRE
Nous étions au sommet de l'escalier où est taillée la montagne qui guérit ceux qui la gravissent. Une corniche forme une ceinture autour du pic, dont l'arc est très courbé. Il n'y a là point d'images ni de sculptures, la paroi est unie et la route apparaît sous la couleur livide de la pierre. En peu de temps, vivement poussés par notre volonté, nous entendîmes, sans cependant les voir, voler vers nous, des esprits qui prononçaient de douces invitations à l'amour. La première voix, qui passa en volant, dit très haut: "Ils veulent boire à ma vigne!" Elle s'en alla le répétant derrière nous et avant qu'elle n'eût, par l'éloignement, complètement cessé d'être entendue, une autre passa, qui encore ne s'arrêta point, en criant: "Je suis celle pour qui l'on a envie de mourir." "Ô mon père! quelles sont ces douces voix qui me donnent une telle envie de les mieux connaître?" Et pendant que je posais cette question à mon maître, une troisième dit: "J'aime celui qui me ferait du mal." Et Baudelaire me dit: "Ce cercle châtie le péché de la concupiscence et c'est pour cela qu'elles sont prises dans les cordes de l'Amour, mais ne crois pas que tu sois toi-même ce frein, car tu n'es pas encore parvenu au seuil du pardon. Mais fixe plutôt tes regards devant toi, et tu verras des gens assis: chacun d'eux est appuyé le long de la falaise." J'ouvris alors les yeux plus que je ne l'avais d'abord fait, je regardai devant moi et je vis des ombres dont les manteaux avaient la même couleur que la pierre. Et, après que nous nous fûmes un peu approchés, j'entendis crier: "Marie, prie pour nous!" Je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui sur la terre, un homme assez dur pour ne pas être touché de compassion au spectacle que je vis alors, lorsque arrivé près d'eux, une profonde douleur m'arracha des larmes. Ils semblaient jeunes: des enfants et des adolescents, des garçons, des filles et aussi des chiens qui leur servaient de guides. Ils étaient couverts de silices et de chaînes; ils s'appuyaient les uns sur les autres ainsi qu'à la paroi rocheuse. Tels des aveugles, mendiant pour leurs besoins, inclinant la tête l'un sur l'autre pour faire naître aussitôt la pitié, par le son de leur voix ainsi que leurs fripes, et le ciel refuse à ces ombres sa lumière, comme aux aveugles, celle du soleil. Un fil de fer leur perçait le nez, les oreilles, les paupières, l'ombilic ainsi que les mamelons et les lèvres de la vulve. C'est ainsi qu'on enchaîne les fauves rebelles, pour qu'ils ne s'enfuient point. Il me semblait, en me dirigeant vers eux, que je les voyais et n'en étais point vu; aussi je me tournai vers mon sage conseiller. Il savait bien ce que mon silence cachait c'est pourquoi il n'attendit pas ma demande, mais il me dit: "Parle, sois bref et précis en usant de mots et non de phrases pour en être bien compris." Baudelaire longeait le côté non protégé de la corniche, ornée de graffitis multicolores aux symboliques abstraites et, de l'autre part, se trouvaient ces ombres dévotes qui gémissaient et dont les larmes détrempaient la couche crasseuse qui recouvrait leurs joues. Je me tournai vers elles et je commençai ainsi: "Ô âmes assurées de voir la lumière d'en haut, qui est l'unique objet de vos désirs, faites que votre conscience soit apaisée et que votre mémoire ne garde aucune trace de vos peines, car ce me serait agréable et cher s'il est ici parmi vous quelque âme qui soit de chez-moi, il lui sera peut-être utile que je le sache." "Avec ta langue crochue et tes belles fringues, t'es pas d'où j'viens mais j'te l'dis quant même qu'avec ceux-là j'expie icitte, j'prie et j'pleure, j'sais pas pourquoi et pour Qui, mais qu'y s'montre à nous au plus Chrisse." J'étais un peu abasourdi de cette réponse, je m'approchai d'une âme dont l'attitude me paraissait plus féminine et qui levait le menton comme une aveugle, je lui dis: "Esprit, qui es-tu qui te purifies avant que de monter plus haut?" "J'suis d'la rue, j'ai ni maître ni Dieu, j'vis dans brume l'âme et l'coeur en paix et ben qu't'en doutes, j'suis pas crack ni putte et j'aime mon Pot, et quand j'prie, j'tague les falaises, j'm'encule avec mes squidjy d'frères, j'lève mon bras, j'me pique et j'crie à God: "Tiens! j' te crains pus!" Avant d'couper mes veines, j'ai fait la paix avec moé et ma mère a pleuré et dit son Not'Père; et toé, qui qu't'es, qui s'en va et qui a pitié d'moé, qui a des yeux d'baiseux ou d'enculeur, qui respires en parlant, qui voudrait ben m'baiser, t'es trop clean bonhomme, ça m'plais pas." "Je n'ai aucune intention mauvaise à ton endroit, les yeux me seront à moi aussi fermés ailleurs qu'ici, car ils n'ont pas commis l'offense qui t'y retient. Bien plus grande est la peur dont mon âme est saisie, pour le supplice d'en dessous, car déjà je sens m'écraser le fardeau de là-bas. Je suis un vif; aussi, âme élue, si tu veux que sur la terre j'aille encore te servir de mes pieds mortels, fais-moi ta demande." Alors, elle me répondit, surprise: "Ouais! c'est cool ça, alors le God, y t'écoute? Pense à moé dans tes jargons et qu'y soit aussi Punky que j'le souhaite. Si tu r'tournes là dans c'te chienne de misère, dis à ceux qu'j'ai fait chier et qui changeaient d'trottoir pour pas m'voir, qu'j'implore leur God d'leur pardonner, qu'y pensent ben me r'voir là-haut, et qu'y sachent qu'on s'fait pas chier en Enfer pour avoir pas été Funky comme eux."
Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical: musique alternative (demowave), empruntée aux Archives du Web.
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