Chant V du Purgatoire

Ô toi qui viens du Ciel! Pourquoi me voles-tu ce fils d'Allah?
Seuls les imbéciles acceptent de mourir pour une cause.

 Io era già da quell'ombre partito,
e seguitava l'orme del mio duca,
quando di retro a me, drizzando 'l dito,
 
  una gridò: «Ve' che non par che luca
lo raggio da sinistra a quel di sotto,
e come vivo par che si conduca!».
 
  Li occhi rivolsi al suon di questo motto,
e vidile guardar per maraviglia
pur me, pur me, e 'l lume ch'era rotto.
 
  «Perché l'animo tuo tanto s'impiglia»,
disse 'l maestro, «che l'andare allenti?
che ti fa ciò che quivi si pispiglia?

Je suivais les traces de mon guide quand, derrière moi et me montrant du doigt, 
une âme lança aux autres: 
"Voyez que le rayon ne luit pas à gauche de celui des deux
qui est le plus près et qu'il semble être vivant!"
Je m'étonnais d'être le seul ainsi, mon maître m'en fit le reproche:
"Pourquoi ton esprit est-il préoccupé du fait de ta singularité alors que tu devrais 
en prendre orgueil? Laisse dire ceux qui ne savent ou ne veulent se distinguer des autres."

Les âmes intriguées s'approchèrent et l'une d'elles m'interpella ainsi: 
"Ô âme qui va vers le bonheur avec ces membres que tu avais à ta naissance, 
ralentis un peu tes pas! Regarde si tu n'as jamais vu l'un de nous 
pour que tu portes, là-bas, de ses nouvelles!
Tous, nous avons jadis péri de mort violente mais avons quitté la vie 
en paix avec Dieu, et nous sommes anxieux de le voir."

Je répondis à ces âmes inquiètes: 
"Je ne reconnais aucun de vous mais dites ce qui vous plaît qui soit en mon pouvoir et je le ferai."

L'un d'eux alors commença ainsi: 
"Moi qui parle seul avant les autres, si tu connais ce pays au sud d'Angleterre 
et qui a nom Belfast, sache que je fus déchiqueté d'une bombe venue de nulle part; 
ce jour-là, d'arrogants orangistes défilaient et d'autres ombres sinistres se terraient dans les ruelles.
Je me battais pour une cause, mes assassins aussi sans doute qui, je le sais depuis, 
n'en valait pas la peine. Dis-leur, s'ils ont encore la conscience, 
que seuls les imbéciles acceptent de mourir pour défendre une cause."

Puis, à un autre, qui s'appelait Ahmed: 
"Quelle force ou quel hasard t'ont éloigné
si loin d'Alger qu'on ne sut jamais rien de l'auteur de ta mort"

Et il me répondit: 
"Au pied des Kabyles je fuyais, mes enfants, ma femme et des amis aussi, la gorge tranchée 
par des soldats de Dieu qui criaient:  "Allah akbar", je tombai et il ne resta que ma chair. 
Je vais te dire la vérité, l'ange de Dieu me prit et l'ange de l'Enfer criait:
"Ô toi qui viens du Ciel! Pourquoi me voles-tu ce fils d'Allah?"
"Et l'ange du Ciel lui répondit: 
"Je te réserve ceux qui fuient devant le crime et aussi, 
ceux qui ne savent le combattre. Redis cela aux mortels qui restent sur terre.""

Puis un autre dit: 
"Ah! que se réalise ce désir qui t'attire vers la haute montagne! 
Et seconde le mien de ta pitié. Je fus de Bosnie et ni Clinton, 
ni Milosevich, ni l'ONU ne se soucient de moi."

Je lui demandai alors: 
"Quelle force ou quel maléfice t'ont égaré si loin de Pristina 
qu'on ne sut jamais te reconnaître parmi les squelettes du charnier?"

Et il répondit: 
"Je ne saurais dire qui ils étaient mais ils étaient militaires et j'entends encore 
le "taratata" sinistre des kalachnikovs fauchant et déchiquetant les hommes; 
j'entends encore les pleurs des femmes et des enfants, restés là-bas dans les chaumières; 
je crois entendre les pleurs de ma femme; si tu vois ma femme, parle-lui de moi."

"Ah!, quand tu seras retourné sur terre et reposé de ton long voyage" 
me dit une autre âme qui semblait être une dame: 
"Souviens-toi de moi qui fus brûlée, on ne sait pourquoi mais par tous, car ce fut 
un jour d'hystérie collective; je te lègue mon anneau de sorcière, garde-le en souvenir 
de moi car je te sais plus digne de le porter, que ceux qui l'ont craint sans savoir pourquoi."