Chant III du Purgatoire
image luis Rojo

Ceux qui s'arrogent le métier de Dieu.
Pourquoi vous faut-il, mortels, réinventer la Vie?


Avvegna che la subitana fuga dispergesse color per la campagna, rivolti al monte ove ragion ne fruga, i' mi ristrinsi a la fida compagna: e come sare' io sanza lui corso? chi m'avria tratto su per la montagna? El mi parea da sé stesso rimorso: o dignitosa coscienza e netta, come t'è picciol fallo amaro morso! Quando li piedi suoi lasciar la fretta, che l'onestade ad ogn'atto dismaga, la mente mia, che prima era ristretta,


RETOUR À LA PORTE DU PURGATOIRE


Notre fuite soudaine fit se disperser ces esprits dans la direction de la montagne où châtie la justice Divine. Je ne cachais pas mes craintes. Mon fidèle compagnon se blâmait lui-même de ne pouvoir retrouver son chemin. Quand ses pas se hâtèrent, mon esprit s'appliquait à d'autres pensées et je fixai les yeux vers le haut sommet qui surgit des eaux, là où expient ceux qui ont péché. Craignant que mon maître m'abandonne, je lui dis: "Mais comment pourrais-je, sans toi, atteindre le haut de la montagne?" Et il me répondit: "Pourquoi crains-tu, ne crois-tu pas que je suis avec toi et que je te guide?" Je m'étonnais que je sois le seul, alors que ce n'était pas son cas, à projeter une ombre sur le sol: "La puissance divine a créé ton corps ainsi. Pourquoi chercher à connaître les desseins insondables de Dieu, n'est-il pas plus sage de se résigner à ignorer le pourquoi des choses dont on connaît l'existence mais dont les causes nous échappent? Si Dieu avait voulu que les mortels puissent tout connaître, il aurait permis à Adam et Ève de connaître le fruit de la connaissance. Si la raison avait permis de tout expliquer, quelle raison il y aurait eu à Marie, d'enfanter un prophète de la foi?" Et il ajouta: "Pourquoi vous faut-il, mortels, réinventer la vie? Je parle de ces magiciens, de ces médecins, des bourreaux et de beaucoup d'autres qui croient ainsi s'élever au niveau de Dieu en s'arrogeant le Métier de Dieu." Et il baissa la tête et il semblait troublé: "Je te le dis, en préférant le vice à l'enfantement et en réinventant d'artifices la vie, ils détruisent la nature et la vie ainsi que l'espérance en la vie, ils ne pensent qu'à la survie; se croyant ainsi devenus Dieu, ils réalisent les oeuvres de Satan. Mais ce seront d'autres êtres, infiniment petits maintenant, qui survivront aux mortels et qui referont le cycle de la vie. Et toi l'aventurier, épris de ta seule liberté et qui parcourt le monde à l'affût des femelles qui soient belles, sais-tu qu'au lieu de créer la vie, tu n'entretiens que ton seul plaisir; n'es-tu pas aussi de ceux-là qui se croient être Dieu et qui confondent ainsi la raison pour laquelle les pucelles sont si belles?" Nous arrivâmes au pied de la montagne mais nous dûmes la contourner pour trouver une pente moins abrupte. Voici que nous apercevons une troupe d'âmes qui se dirigeaient lentement vers nous; elles se serraient contre les parois rugueuses de la haute falaise puis, elles s'arrêtèrent avec inquiétude dès qu'elles nous virent. Baudelaire commença ainsi: "Ô vous qui avez bien vécu, esprits déjà élus, au nom de cette paix que vous espérez tous, dites-nous de quel côté la montagne est en pente douce pour qu'il soit possible de la gravir, car il nous déplaît de perdre notre temps tellement on en connaît la pénitence." Comme des brebis qui quittent leur bergerie, pressées les unes sur les autres, le museau et l'oeil rivés au sol, peureuses, simplettes et paisibles, s'imitant les unes les autres et ne sachant pas pourquoi, elles vinrent vers nous, pleines de pudeur et avec l'allure grave. Quand elles virent que je projetais une ombre elles s'arrêtèrent et reculèrent, mon guide dût les rassurer ainsi: "Sans que vous le demandiez, je vous dis que c'est un corps humain, ce qui explique qu'il intercepte ainsi la lumière." L'un d'eux commença: "Qui que tu sois, sans t'arrêter, regarde-moi! Et demande-toi si jamais tu ne m'as vu là-bas." Et je reconnus en effet celui qui avait été un ami, et il me dit: "De retour là-bas, vois mon épouse si belle et si esseulée, qui t'aimait autant que je l'aimais; parle-lui de celui qui m'a ainsi transpercé de son glaive et qui usurpe depuis, ma couche et ma gloire. Vois si tu peux, en révélant à ma tendre épouse l'état où tu m'as vu, et qu'ainsi, elle me fasse le grand bienfait de prier pour que ses prières abrègent mon attente au pied de cette falaise." Cet ami ne saura-t-il jamais que celui qui usurpait ainsi sa couche et sa belle, c'était peut-être moi?



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
Theme musical inconnu, emprunté aux Archives du Web.
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CHANT IV DU PURGATOIRE