Chant XIII de l'Enfer
image Boris Vallejo

Le gibet de Jean-Bapiste le dilapideur
V'la les yankees, v'la les yankees.
ou l'erreur boréale


Non era ancor di là Nesso arrivato, quando noi ci mettemmo per un bosco che da neun sentiero era segnato. Non fronda verde, ma di color fosco; non rami schietti, ma nodosi e 'nvolti; non pomi v'eran, ma stecchi con tòsco: non han sì aspri sterpi né sì folti quelle fiere selvagge che 'n odio hanno tra Cecina e Corneto i luoghi cólti. Quivi le brutte Arpie lor nidi fanno, che cacciar de le Strofade i Troiani con tristo annunzio di futuro danno.


RETOUR À LA PORTE DE L'ENFER


Nessus était arrivé sur l'autre rive et nous pénétrâmes dans une forêt où il n'y avait aucun sentier. Elles n'ont pas de buissons si âpres et si épais ces bêtes sauvages qui, entre le Baskatong, le Cabonga et Obaska, fuient les terres cultivées. Il n'y a ici pas de feuillage vert mais que sombres couleurs; il n'y a pas de rameaux lisses mais que lierre noueux et tordu; il n'y a pas de fruits mais qu'épines venimeuses. Là où les hideuses Harpies font leurs nids, qui chassèrent les Abitibiens et les Abénakis de leurs Cris et en leur donnant le présage lugubre des souffrances à venir. Elles ont de larges ailes, un cou et un visage humain, un ventre poilu, des pattes armées de serres et une longue bouche aux dents acérées; elles poussent leurs gémissements mécaniques sur les arbres impuissants. J'entendais de toutes parts des lamentations et je ne voyais personne qui les fît entendre; aussi je m'arrêtai tout éperdu: "Pourquoi me brises-tu? N'as-tu donc aucun sentiment de pitié? Nous, en d'autres temps, avons été des hommes et des femmes, mais voici que nous sommes devenus des arbres et des buissons; ta main devrait bien nous être moins pitoyable, même si nous avions eu des âmes de vipères." Du bois brisé sortait en même temps des paroles et du sang comme le tison vert qui brûle, qui gémit d'un bout et siffle de l'autre; aussi je laissai tomber la branche et je demeurai comme un homme abasourdi. Alors mon guide, tentant de m'excuser, lui dit: "Ô âme blessée, ne lui en rend pas rigueur, s'il avait cru ce que mes vers ne lui ont appris, il n'aurait pas porté la main sur toi; mais, en guise de réparation, dis-lui qui tu es pour qu'à son retour sur terre il rende compte de ta mémoire." Et le tronc répondit: "Tes paroles sont si douces qu'elles me plaisent et je ne puis me taire; qu'il ne vous soit point pénible si je m'englue un peu dans mes propos. Je suis celui qui tenait les clefs du jardin et je les tournais, fermant et ouvrant la porte, dévoilant ainsi en silence tous les secrets des trésors qu'il cachait; et je fus si fidèle à ma glorieuse charge que j'en perdis le sommeil et la vigueur. Une courtisane venue du Capitole de Washington,un jour frappa à la porte du jardin; elle avait de si beaux yeux qu'elle enflamma mon esprit, elle me détourna sans pudeur de sorte que, dans ma cupidité, je lui ouvris les portes du jardin dont j'avais la charge. Ainsi entrèrent dans le jardin, tous ses amants, ses amis venus de Washington ainsi que ses courtisans venus de ma Capitale,pour chasser, pêcher, exploiter les richesses du jardin que Dieu avait attribué à ses fils ainsi qu'aux fils de ses filles. Quand il n'y eut plus rien du jardin à surveiller qu'un vaste désert, on m'enleva les clefs de ce qui n'était plus un jardin. Et mon âme en resta indignée. J'ai cru qu'en me pendant à cet arbre je pouvais fuir ma honte; ainsi, ai-je été injuste envers le juste que je me croyais être. Par les racines étranges de ce bois, je n'ai jamais violé, je vous le jure, la foi due à mon Seigneur, Lui qui fut si digne d'honneur. Si quelqu'un de vous retourne sur la terre, qu'il défende ma mémoire qui est encore abattue par le coup porté par mon inconscience." Je demandai à mon guide en le suppliant de le questionner car je voulais savoir, mais le dégoût m'étreignait de sorte que je ne le pouvais moi-même. Et il lui demanda: "Esprit emprisonné, qu'il te plaise encore de nous dire comment l'âme s'unit à ces troncs noueux; si tu le peux, dis-nous si quelqu'une réussit jamais à s'échapper de pareilles entraves." Alors le tronc souffla de l'air qui se transforma en ces paroles: "Aussitôt que l'âme cruelle se sépare de son corps, Minos l'envoie à la septième fosse. Elle tombe dans la forêt où aucune place ne lui est destinée; mais elle germe là où le hasard la précipite. Puis elle croit et devient une tige, un roseau ou un arbre; les Harpies se nourrissent ensuite de ses feuilles et de ses branches, elles lui causent ainsi une grande douleur. Comme les autres âmes nous reviendrons ici chercher nos dépouilles, mais aucune pourtant ne pourra s'en revêtir, car il n'est pas juste que l'homme possède ce qu'il a dilapidé. Nos corps seront pendus dans la triste forêt, chacun à la branche où loge son ombre ennemie." La forêt était pleine de chiennes noires, avides et aux crocs acérés. Elles s'accrochaient aux troncs des arbres comme des sangsues et lentement, elles s'y immergeaient avec fureur et en faisant entendre un bruit sinistre de tronçonneuse; puis l'arbre allait s'écraser au sol avec un tel fracas qu'une plainte de douleur parcourait la montagne. Puis une harpie au cou démesuré déchiquetait la bille lambeau par lambeau, puis elle emportait ses membres dolents. Mon guide me prit alors par la main et il me conduisit aux buissons qui pleuraient en vain, torturés par ces sanglantes déchirures. Quand mon maître se fut arrêté près de lui, il dit: "Qui as-tu été, toi qui, par tant de brisures, souffles avec ton sang des paroles si douloureuses?" Il nous répondit: "Ô, âmes qui êtes venues par ici, voyez le traitement cruel qui m'a ainsi dépouillé de mes feuilles! Je fus du pays dont Jean-Baptiste dilapida la forêt en échange de retours factices, sans laisser d'espoir à mes fils et à mes filles." Au loin, une complainte étouffée nous fit nous redresser, elle disait: "La nuit dormait dans son verseau, les chèvres buvaient au rio, nous allions au hazard et nous vivions encore plus fort, malgré le frette et les barbares. Nous savions qu'un jour ils viendraient à grand coups d'axes, à coup de taxes, pour traverser le corps, de bord en bord, nous les derniers humains de la terre. Le vieux Achille a dit : «à soir c'est un peu trop tranquille. Amis, laissez-moi faire le guet. Allez ! Dormez en paix !» Ce n'est pas le bruit du tonnerre ni la rumeur de la rivière, mais le galop des milliers de chevaux en course dans l'oeil du guetteur, Et tout ce monde sous la toile qui dort dans la profondeur : «Réveillez-vous ! V'là les Yankees, v'là les Yankees, Easy come, Wisigoths, V'là les Gringos !» Ils traversèrent la clairière ils disposèrent leurs jouets de fer. L'un d'entr'eux laudé de guns, s'avance et pogne le mégaphone. «Nous venons de la part du Big Control, son lazer vibre dans le pôle, nous avons tout tout conquis, jusqu'à la glace des galaxies. Le président m'a commandé de pacifier le monde entier. Nous venons en amis, beleive-me. Maintenant assez de discussion et signez-moi la reddition car bien avant la nuit, nous regagnons la Virginie!» Oh v'la les yankees, v'la les yankees. Easy come, Wisigoths. V'la les gringos! «Alors je compte jusqu'à trois et toutes vos filles pour nos soldats. Le grain, le chien et l'uranium, l'opium et le chant de l'ancien, tout désormais nous appartient, et pour que tous aient bien compris, je compterai deux fois et pour les news d'la NBC: Tell me my friend, qui est le chef ici? Et qu'il se lève!» Et le soleil se leva. Hey Gringo! Escucha me, Gringo! Nous avons traversé des continents, des océans sans fin sur des radeaux tressés de rêves, et nous voici devant vivant, fils de soleil éblouissant, la vie dans le reflet d'un glaive. America! America! Ton dragon fou s'ennuie, amène-le que je l'achève. Caligula, ses légionnaires, ton président, ses millionnaires, sont pendus au bout de nos lèvres. Gringo! t'auras rien de nous. De ma mémoire de tytan, mémoire de 'tit enfant: Ça fait longtemps que je t'entends. Oh gringo! va-t'en! Va-t'en. Allez gringo que dieu te blesse. La nuit dormait dans son verseau, les chèvres buvaient au rio, nous allions au hazard et nous vivions encore plus fort, malgré le frette et les barbares."



Marco Polo ou le voyage imaginaire (La tragédie humaine, janvier 2000) © 1999 Jean-Pierre Lapointe
(1)Extrait des paroles: "yankee" de Richard Desjardins.
Theme musical: dark fantasy de Kristopher Norris, emprunté aux Classical Midi Archives.
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CHANT XIV DE L'ENFER